A la Lueur du Lampadaire !

Zone de Confort

  • l'avertissement //!\\ :

D'après mon entourage, il y aurait des éléments assez choquants donc attention aux plus jeunes/sensibles !!!

Le making-off est fait.

 

 

              *Prologue*

 

 

                Dans la caverne résonnait le ruissellement d'une rivière souterraine. L'obscurité du fond était semée de la lueur des lucioles grosses comme une main d'homme. Si l'entrée laissait apparaître le rugueux des parois et l'inégalité du sol pierreux, la suite du chemin ne laissait rien deviner. Dans ce pays, où l'on pouvait dormir sous une lune mauve et nager dans des torrents saturés de sel terrestre, une caverne abrupte dès l'entrée pouvait très bien être aménagée agréablement quelques mètres plus loin.

 

                Depuis mon promontoire, cette caverne-ci ne me semblait pourtant pas si avenante : en frissonnant de crainte qu'une bête sauvage n'en surgisse, j'en dessinais les contours avec tout l'art qu'un scribe adroit mettrait, j'en coloriais avec les pigments naturels, dénichés ça et là, depuis les sommets des montagnes pour les plus rares passant par les organismes zoologiques pour les plus fréquents, sur une épaisse toison au cuir tanné et apprêté soigneusement à la face interne et au pelage teinté et peigné à la face externe. J'y mettais moi-même tout le soin nécessaire car mon travail était facturable selon le degré de qualité apportée, uniquement appréciable par le commanditaire.

 

                D'ailleurs, que voudrait faire ce dernier dans une grotte ? Chasser le Snark ? Trouver la Pythie ? J'avais entendu dire qu'il était un armateur ayant un faible pour les légendes. Et qu'il mettait cœur à l'ouvrage dès qu'il dégotait un indice. Voudrait-il insinuer que cette grotte contiendrait quelque chose ? Non... Des légendes urbaines sont plus faciles à dénicher avec l'avantage d'être à portée de la civilisation. Peu importe, il fallait seulement que je terminasse ma géographie correctement - et au plus vite - et que je prisse mon argent au comptant : l'aventure serait pour lui !

 

              Un éclat violet m'indiqua que la lune s'était levée : la nuit allait tomber d'un instant à l'autre. (NDLR : la lune se levait toujours avant le crépuscule et possédait une si vive lumière qu'en journée il lui arrivait de surpasser le soleil et à briller derrière des nuages d'orages.) Bien, je ramassai tous mes scalpels en corne de bec d'Aigle à Tête Blanche (un oiseau mythique : ne me demandez donc pas comment ces ustensiles acérés d'une extrême précision sont en ma possession...) et les rangeais avec précaution dans leurs housses personnelles en évitant de me couper. C'était devenu un rituel, ce déballage et emballage, comme si le dessin technique en lui-même n'en était qu'un prétexte.

 

              Finalement la sacoche attachée au dos, je me levai avec prudence : dépliant la jambe gauche à la main et posant le pied sur le sol dur du promontoire où je m'étais assise, puis prenant appui sur ce pied et le poing droit, je me soulevai avec lenteur. Les chevilles de fer maintenant mes genoux n'étaient pas des appareils très pratiques en randonnée. Passant la journée de travail dans de chars sur coussins d'air, la mobilité des jambes n'était pas à discuter : on ne se fatiguait pas tant. Pourtant je n'avais pas pris le temps de les changer. Je devrais pouvoir faire quelques réglages plus tard. M'emparant de béquilles de fortune fabriquées à partir de tubes en fibres de titane, je m'apprêtais à descendre le promontoire.

 

              J'y jetai un dernier coup d’œil, à cette caverne. Mais où l'armateur tirait ses renseignements ? Quoiqu'en on dît, les gens de ce pays sont des aventuriers dans l'âme. Ou des fous. Qui donc irait s'intéresser à un trou dans la roche ? La bouche béante de la caverne exhala un souffle putride, comme si elle avait déjeuné il y a fort longtemps et les miettes d'aliments s'étaient décomposées entre les dents...

 

 

             *Chapitre Suivant*

 

              Dans tout l'Empire des Trois Cartes, il n'y avait que trois cités où la vie était facile : la magnifique cité-capitale de Midgard, la commerciale cité de Confort et la guerrière cité du Wutai. Le reste des territoires n'était que sauvagerie et paysannerie depuis les hautes montagnes aux cimes déchiquetées jusqu'aux plaines si spongieuses que le soleil ne parvenait pas à sécher la terre. Chaque lieu portait la marque de sa vie et personne n'interférait dans les affaires des autres villes, si bien que la population devait s'éduquer totalement quand elle déménageait à un autre lieu d'habitation. Ainsi était mon cas... Je me déplaçais de place en place pour les besoins de ma condition de vie et changeais de comportement comme de chemise. Il n'y avait qu'une seule chose que j’étais sûre de garder au fond du thorax : ma personnalité, mon caractère, cette entité qui vous disait ce que vous étiez même si vous ne faisiez rien dans la vie !

 

                Eh bien, dans l'Empire des Trois Cartes,  il existait quelque chose de semblable... Le nom différait selon l'endroit, l'enjeu et l'envie. Voyant tout par des yeux de spectateurs, je m'en vins pour ma part l'appeler le Sport des Rois-Artes. Les Rois-Artes étaient les dirigeants de l'Empire, qui appliquaient cette rigueur radicale de vie, et avaient décidé donc un jour d'unir, ne serait-ce d'un iota, leurs démences et décrété l'ouverture d'un type d'exercices physiques au but glorieux et fatal. Au commencement, le Sport était d'une violence inouïe parce que l'encadrement faisait défaut ; maintenant cet encadrement était si puissant que le Sport en était devenu vicieux... Oh, je pourrais conter ses heures de gloire comme ses heurts de glas, mon cours de vie me l'autorisant.

 

                Malheur à moi ! Cette présence dans les murs des cités et au-delà m'avait si mal desservie ! J'avais fui la caverne, m'étais réfugiée à Confort afin de livrer ma géographie et me laissais m’en retourner vers un repos douillet. Malheur à moi, le Vieil NostraDamus m'infligea sa règle universelle. Il apparut devant mes yeux, dans la rue noire, encapuchonné comme un Epouvanteur dans un manteau miteux. Il énonça distinctement sa prophétie : ni une ni deux, ma raison de vivre s'était déjà détournée de son objectif initial !

               Désormais, je me retrouvais à devenir un recruteur puis un Joueur... du Sport ! Finirais-je morte ?

 

               Allons défier ce que les Rois-Artes nous avaient concoctés... Vous me suivez ? Je suis votre recruteur, [nommée Renzokou (NDLR.)] Nous formerons une bonne équipe attachée à la cité de Confort. Nous nous entraînerons Au Pied Du Mur pour devenir fort. Et nous le gagnerons, le Sport !

 

 

            - Vaste programme puisqu'il n'y a jamais eu de vainqueur du Sport ! Que du Spectacle ! L'immense foule voit l'énorme gloire pour des morts ! brailla un grand gars de 2m20 à la peau basanée tel le fond d'un chaudron millénaire.

             - Et pourquoi nous ? répliqua mécontent un autre gaillard, blond de cheveux et de fols épis.

             - Vous êtes venus pour gagner les millions de drachmes ? Avez-vous lu la fiche qui établit le fichu travail à abattre ? Aboya Renzokou.

             - Bien sûr ! firent-ils d'une voix.

             - Alors questions idiotes au placard, OK ? C'est de la baston, course poursuite et bases de réflexion ! Pas de quoi fouetter un Chien...

             - Ah, il faut réfléchir aussi ? s'exclama un troisième homme en écarquillant des yeux engoncés dans la chair blême et squameuse du visage.

             - C'est pas ton fort, on dirait, desperados ! marmonna un quatrième membre dans un souffle froid.

 

             - Vous avez tous passé les examens médicaux - je sais que c'est idiot pour des morts en sursis mais les règles n'acceptent que ceux qui sauront être de grandioses gladiateurs : validation de la taille d'au moins 1m80 et du poids d'au moins 70kg ; de la structure corporelle tout en muscles et peu de graisse ; de la non-déficience des sens normaux et des sens de surplus ; de la connaissance des règles de survie dans un environnement hostile...

            - Ça fait partie du médical, les règles de survie ? jeta le blondard.

            -... Et c'est tout. Les règles du Sport s'apprennent pendant l’Entraînement - dans quelques instants. Je précise que nous sommes dans une structure architecturale virtuelle représentant la forme du Terrain avec ses atouts et ses pièges. Donc si vous ne réussissez pas à battre Le Pied Du Mur - le nom du Terrain - vous mourrez ici... Et je devrais chercher un remplaçant !

              - On dirait que ça te fait ch... remarqua le géant noir.

               - Bien sûr... Le Pied Du Mur est une place forte que le Roi-Arte de Confort a spécialement aménagée. Il regorge des traîtrises et attaque les Joueurs qui y entrent jusqu'à la fin de partie. Si le match n'est pas achevé, les Joueurs ne sortent pas, vivant ou mort. Cela peut prendre des jours ou des mois. Le match finit avec la saisie du Calicot, symbole du Sport ! Allons, présentez-vous, termina Renzokou.

 

 

           Le géant : 2m20, 130kg, peau noire, cheveux ras, œil de verre, multiples tatouages, armure de piques et diverses armes blanches de soldat de front. Le géant se nommait Inhdra Waarmen et participait pour tuer le temps de sa permission entre deux guerres. Il ne savait plus pour qui il se battait pendant ces guerres rangées, il se défiait maintenant de la cause elle-même : était-elle juste ? "Saurais-je faire cette différence entre la baston pure et la baston juste ? Saurais-je protéger mes valeurs ? Voyons avec cette équipe !" pensait-il pendant qu'on l'observait.

 

          Le blondard : 1m87, 85kg, peau bronzée de surfeur, cheveux blonds et abondant en épis, l’œil bleu, corps fin d'un coureur de fond, combinaison high-tech. Le blondard se prénommait MarKaren et cherchait le frisson des événements spectaculaires. "Je serai le nouveau héros du Sport ! Gloire à moi ! Je jetterai les autres dans mon ombre !" se louait-il en lui-même alors qu'on le soupesait du regard.

 

          Le cadavre : 1m95, 70kg, peau cadavérique, crâne dégarni sauf de quelques brins, l’œil noir, corps squelettique, mante élimée à capuche noire. Le zombie dénommait Carbuncle et ricanait en son for intérieur de la future déchéance de ses presque ex-équipiers grâce à son talent surnaturel tandis qu'on le dévisageait.

 

          L'âme du froid : 1m80, 72kg, peau hydratée, cheveux en courtes tresses, lunettes teintées, corps en belles courbes, robe équestre en cuir brillant. L'amie du froid s'appelait Ixia et se demandait pourquoi elle devait subir tout ceci pour payer son crime qui n'était pas si atroce bien qu'on la déshabillait des yeux.

 

         Moi-même : 2m01, 105kg, peau luisante, cheveux en boucles blanches, l’œil gris, grasse et empotée, uniforme d'officier dépareillé. Je me faisais appeler Renzokou et souhaitais en avoir fini avec le branle-bas du Sport tant qu'on ne m'adressait pas un seul coup d’œil.

 

 

       - Chacun se devrait impérativement d'user leurs noms, pas de sobriquets, sinon la communication ne fonctionnerait pas et le danger de mort sans pitié sera...

 

         - Personne ne connaît la forme du Terrain où aura lieu le Sport ; juste le lieu : c'est Confort, cette année. Il est sûr qu'il y a des traquenards, renouvelés chaque an, mais sont généralement les mêmes par manque d'idées d'avant-garde. Bref, l’Entraînement vous les fera connaître. Méfiez-vous quand même ! Rien n'est anodin quand il s'agit du Sport !

 

          - Les règles sont simples : on ne tue pas et on n'est pas tué. Les blessés sont évacués et donc éliminés - mais vivant au-dehors. On utilise ses propres armes ou n'importe quoi qui y fasse office. On s'allie avec qui ou quoi on veut. On se bat comme on veut. Le but est de choper la balle et de l'emmener du poste Alpha au poste Oméga via les postes Delta, Lambda, Omicron et Khi. On obtient des points en fonction de notre attitude. On récolte des objets en cours route, qui donneront des points à ceux qui les possèdent et à ceux qui les on récoltés. On reçoit des instructions du Maître Des Jeux, qu'on a à respecter ou pas, dans le trajet, les méthodes de combat, l'envie ou la démence qui le saisit. Aucun match ne se ressemble : jamais ! Alors, comptez sur vos compétences et peut-être vos alliés : on ne peut survivre là-dedans sans protéger soi-même et les autres ! Enfin si l'on ne meurt pas...

 

 

            *Chapitre de l’Entraînement*

 

 

           Ils rentrèrent dans un stade qui semblait être ovale à l'ancienne et d'une taille gigantesque ni n'avoir de fin, impression renforcée par tout un chacun qui se tenait loin, très loin des uns des autres. La confiance n'était pas encore de mise dans le groupe. Renzokou montra les commandes qui design-eront le style de terrain que prendrait Le Pied Du Mur et sur laquelle une bille brillait que Renzokou effleura. Or ; MarKaren n'écoutait qu'à peine tant cette salle était immense et qu'il avait hâte de la tester. Que serait un rouleau ici ? Il la chevaucherait en vainqueur ; son nom serait de tous les temps le meilleur des surfeurs que ce monde et au-delà n'aurait porté ! Or ; Carbuncle pronostiquait les pièges qu'il allait tendre à ses ex-coéquipiers tandis qu'Inhdra établissait ses stratégies guerrières, tous deux en fonction de l'hypothétique relief du Pied Du Mur. Seules Ixia et Renzokou attendaient les instructions - qui ne tarderaient plus maintenant. Attentives. On disait que c’était les femmes qui gardaient la tête sur les épaules : elles se jetèrent au sol tout en souplesse.

 

         Quelques secondes plus tard, abruptement, au son d'un sifflement aigu, les trois autres s'étalèrent comme un Moustique-Tigre sous la claque fatale. En effet, un arc de lumière bleue s'étendait depuis les commandes montrées plus tôt ; le déplacement dans l'air du faisceau provoquait ce sifflement perçu in extremis.

         - Vous auriez nous...

         - ... prévenir ? Pour quoi faire, MarKaren ? ricana Renzokou.

        Le décor changeait depuis les hauteurs à la mesure du faisceau et les futurs champions se retrouvèrent dans un paysage atroce à décrire.

        - Vous le saurez pendant l’entraînement, répliqua Renzokou. Je ne me vois pas du tout vous décrire des lieux tout de suite pour les décrire plus tard encore. De plus, il change bien trop souvent, ce décor... qu'est-ce que c'est laid !

         - VOILA LA BALLE... A JOUER !!!

 

         Renzokou jeta en chandelle une boule ovale comme un œuf d'émeu géant, qui fait bien la taille d'un ballon de ce jeu sportif étranger dit de basket-ball. Elle était aussi bleue et velue qu'un animal et ornée de anses de cuir brun, qui ne se voyaient pas tant. Avant même que le lancer ne finisse sa course descendante, Renzokou s'en empara, accrochant d'un geste souple une des anses au crochet d'alliage de naquadrilla de la canne de jeu. Puis, à la volée, y mettant toute la force qu'elle pouvait tirer de cette position verticale, elle relança la boule de jeu... vers Ixia qui s'en saisit pareillement.

         - Quel œil vif, commenta Renzokou qui se mit à marcher.

 

         Ixia resta immobile un instant, indécise. Évidement, personne ne savait quoi faire de la suite. La balle bleue velue sembla commencer à enfler, ce qui incita Ixia à réagir. Une balle avec une telle réaction n'était pas de bonne augure. Ixia la lança donc au petit bonheur, droit devant elle, ne visant personne en particulier et se plaçant elle-même derrière un écran protecteur, un imposant rocher de granite incrusté de cristaux bleutés et plat comme un paravent de pierre. Renzokou suivit des yeux la balle qui vint s'écraser contre l'épaule de Carbuncle et l'arracha. Le bleu de la balle se souilla du vert sanglant alors que Carbuncle hurlait de douleur, retenant le bras qui pendait au bout de ce qui semblaient être des os métalliques couplés à des câbles. Carbuncle s'effondra sur le sol moelleux fait de mousse bleutée qui épanchait le sang puis... il disparut en s'effaçant comme une gomme bleue aurait effacé une malencontreuse tâche d'encre.

          - Ça commence bien, commenta Renzokou ironique, toujours avançant.

          - Où est-il ? s'exclama MarKaren. Il est mort ?

          - Non, parti pour être soigné, répondit Renzokou. Mais toi blondard, tu vas mourir si tu ne bouges pas de là !

 

          La balle, un peu plus grosse paraissait-elle, continuait sa trajectoire rectiligne quand brusquement elle vira droit vers MarKaren, le point le plus proche. Silencieuse, sournoise, elle voyait de ses yeux rouges MarKaren immobile tel un ahuri et riait déjà du mal qu'elle lui fera... ha ha ha...

           Quand soudain, une batte l'arracha de son trajet, le crochet se prenant à une anse et elle le vit, ce mastodonte qui la propulsa avec un cri d'effort droit devant, vers Renzokou.

          - Hé, on dirait qu'il a comprit quelque chose, celui-là ! commenta celle-ci.

 

          Pas sûr ! Juste une manœuvre, pensa la balle. Cette dernière traversa les deux cents mètres qui séparaient ces deux humains. Peu importe, elle détruisit tout sur son passage aérien telle une tornade - c'est le jeu. Elle s'affermit, redressant ses poils en des piques, cachant ainsi les anses à Renzokou. Ha ha ha. Renzokou ne leva sa canne qu'en dernier instant et, de l'extrémité métallique dépourvue de crochets, elle asséna un bon coup sur la coque dure de la balle sans que la canne ne se prenne dans les piques hérissées.

         - A toi de jouer, MarKaren, commenta-t-elle en simultanée, sinon on va manquer de joueur. Ah non, revoilà zombie-man...

 

         MarKaren avait les yeux exorbités, de peur sans nul doute, et ne bougeait guère devant la balle qui volait vers lui. Cela ne lui déplaisait guère, à elle : il était son objectif premier. Certes, elle était encore loin, "trouver quelque acte à faire" était la phrase qui tournait en rond dans la tête de MarKaren. Fébrile, les mains agitées, ce fut machinalement qu'il s'empara de la baguette accrochée à la ceinture. Son porte-bonheur allait l'aider... Toujours machinal, il appuya sur l’interrupteur et la planche de surf vint à s'ouvrir devant lui. Il y sauta dessus et, d'un coup de rein, il vira volant à son tour vers la balle velue, laissant derrière lui une fine poudreuse qui se répandait sur la végétation alentour. Qu'allait faire ce gringalet ? Imitant Renzokou, il la frappant du côté fin de la canne au moment propice où la balle allait la toucher à l'épaule... mais vers le sol.

         La balle toucha la mousse bleue et s'y enfonça lentement malgré la grande force qu'y avait mis son assaillant. Tous les regards étaient tournés vers elle, remplis d'une avide curiosité : MarKaren lévitait au-dessus avec une vue imprenable, Renzokou marchait toujours, Inhdra piétinait en semblant la suivre, Ixia était quelque part mais hors de vue, Carbuncle restait encore allongé sur le sol.

          Bougea-t-il un peu... ou pas ? Nul ne savait s'il était encore conscient. Seulement, le corps blême se soulevait par à-coup, comme par gestes involontaires, puis il s'enroula en boule, immense, courbant vers l'arrière la colonne vertébrale. L'homme hurlant prit alors la forme plus grande de la balle, bras et jambes ballants, piques dans la chair et points rouges luisant parmi elles...

 

          - MarKaren, appela d'une voix amplifiée Ixia, frappe de ta planche !

          - Ça va pas, elle va casser !

           - Gémis pas, trouillard, elle blessera moins que la batte !

            MarKaren refusa en secouant la tête.

           - Écoutes les craquements d'os, alors, ricana Renzokou.

           Horrifié, MarKaren se prépara à contre cœur : il exécuta un salto avant dans le vide au-dessus depuis sa planche de surf, l’agrippant des mains et la fracassant dans la foulée contre la balle carbunclée. Un énorme craquement envahit alors Le Pied Du Mur. La balle cogna à nouveau le sol de mousse bleue avec Carbuncle qui s'effaça une seconde fois tandis que la balle réapparut telle sa première forme. Quant à la planche, elle était tristement scindée en deux... jusqu'à ce que la matière qui la composait s'allonga des deux extrémités cassées et les fit se rejoindre : elle en devint comme neuve !

 

           - Quoi, quoi...

           - Je vois, l'Arme Indestructible, souffla Inhdra.

           - C'est ça ! Tous les objets qui nous serviront d'armes ici, lança Renzokou.

           - Comment sais-tu ?

           - Les règles sont toujours connues ! Au fait, Ixia, tu t'en sors ?

           - Oui-da !

           Ixia, qui avait pu suivre les événements sans trop changer de position, était en effet en plein effort. Elle s'était imbriquée à la pierre qui lui avait servie d'écran de protection, contre laquelle elle s'était adossée un instant et qui l'avait piégée. Elle était en train de marteler le roc avec soin, d'un son sourd, n'ayant pas de pitié pour la pierre et le brisait en de multiples éclats brillants, et ce jusqu'à se libérer. Un dernier coup le réduisit en un éboulement remarquable, toute la rage contenue explosant sous le Marteau de Thor qu'elle tenait fermement dans les poings.

 

             - Il ne faut pas rester immobile dans ce monde-là ! conclut Inhdra. Bougez tous ! Toi-aussi, Carbuncle...

             - Enfin...

             - Comment fais-tu pour ne pas mourir ? demanda MarKaren.

             - Je le suis déjà...

             - La balle arrive, signala une Ixia haletante.

             - Dégustation alors, commanda Renzokou, debout sur un piquet de bambou qui se balançait doucement sous le poids.

 

 

              Ils avançaient inexorablement, en ligne droite à travers le décor sans pour autant s'immobiliser ou dans des directions incongrues dans les trois dimensions du moment qu'une partie de leurs corps avait un contact physique avec la surface du Pied Du Mur. Bref, une boussole aurait déjà perdu le nord conventionnel : ici, tous les points cardinaux se plaçaient selon les joueurs, les murs devenant sol, la pierre alors se drapant de mousse bleue. Les joueurs sautaient pour éviter d'être pris dans l'engrenage du paysage. Les battes, chacune leur tour, lançaient, frappaient, attrapaient, assénaient, la balle tour à tour velue, pleine de piques, suintante de poison, tentaculaire jusqu'à la mener là où bon il leur semblait, sans but véritable, sans voir la fin.

              Ils la maîtrisaient de mieux en mieux, et avec cette maîtrise, une certaine cohésion se tissait dans le groupe.

              Elle allait décider de la place de chacun.

              Mais, dans l'esprit, chacun restait de francs-tireurs, observant les techniques de combat et les sens hors du commun employés, chacun mijotant de pièges à tendre ou gloire à s'emparer, uniquement pour leur propre personne. D'affreux plans de duels pour les plus honorables d’entre eux et de tueries pour les plus vils se fomentaient dans les limbes de ces esprits tortueux. Seul importait le Calicot et le héros de tous les temps !

 

              - La balle apparaît n'importe où sur le Terrain, et charge les joueurs ; parfois elle se perd, il faut alors la trouver. Sans elle, pas de Sport, pas de Calicot. C'est donc l'exercice suivant, renseigna Renzokou. La Minuterie s'enclenche jusqu'à la trouver, sinon c'est la fin. Parfois la Minuterie s'adapte aux joueurs, c'est selon son envie.

              - Comment fait-on ? C'est vaste ici ! s'indigna MarKaren.

              - A force de la manier, tu sais à quoi elle ressemble, grogna Renzokou.

              - Est-ce que tout a de la vie ici ? siffla Carbuncle.

              - Et ce n'est pas toi qui décide de la suite, grogna encore Renzokou.

 

             Au même moment, un éclair zébra le ciel artificiel qui couvrait Le Pied Du Mur. Tous convergèrent vers ce que les yeux perçants d'Ixia identifia comme la balle velue du Sport. Elle tombait du ciel telle une comète avec un long panache de feu bleu dans son sillage...

              Le Terrain changeait à chaque groupe de mètres avancé. Le sol inégal devenait spongieux puis rugueux jusqu'à commencer à aspirer tout ce qui y posait un certain poids. MarKaren y plaça sa planche de surf, prenant soin de ne pas toucher le sol, puis se propulsa dans les airs, à hauteur d'homme. Ixia se chaussa de larges raquettes de marche qu'elle déplia d'une partie de ses jambières, faites de peaux métallico-organiques issues de la Baleine du Froid, oblongues et dorées qui contrastaient fortement avec sa robe argent fluide. Carbuncle sautait d'un arbre à un rocher, ou à une tour de guet ou n’importe quoi qui lui permettait de rester sans danger, avec autant de mouvement qu'un singe-araignée équipé de ventouses aux poignets et autres points clés voire improbable du corps. Inhdra marchait droit devant, muscles en avant, forçant le passage, fendant les obstacles qui fondaient littéralement devant lui, sans se soucier de leurs tracasseries. Renzokou avançait elle-aussi sur une trajectoire rectiligne au rythme du cliquetis des chevilles de fer.

 

            A force d'avancer dans on ne savait quelle direction, la balle velue, qui disparaissait hors de vue pour revenir les attaquer à son gré, s'était actuellement installée sur un piédestal de cristal qui reflétait toute sa rondeur, la rendant belle. Une liane rouge et verte pendait non loin de la main gantelée d'or d'Inhdra qui l'attrapa promptement afin de s'en faire un lasso de bonne longueur.  Or, avant même qu'il ne tire dessus pour l'amener à lui, la liane s’assouplit tant et tant qu'elle s'écoula tel un liquide d'un silo, tout juste sur le gantelet et la manchette d'or d'Inhdra. Une fumée âcre se dégagea aussitôt dès le contact entre la liane et l'armure. L'homme détourna le nez pour éviter d'inhaler malgré qu'il restât à observer la chimie puis continua d'enrouler la liane. L'armure se creusait sous le fluide abrasif puis se reformait immédiatement, dans un seul temps, jusqu'à l'épuisement de l'acide végétal sur le gantelet. Quant à la partie de la liane qu'Inhdra tenait dans son poing, elle réagissait de la même manière : elle fondait et se reformait tout à la fois. Inhdra avait la ferme intention de s'en servir comme d'une arme offensive...

 

            MarKaren voleta ensuite vers la balle patiente ; or, voyant qu'elle vibrait, il crut à un envol surprise ; il accéléra sa course brusquement, la canne côté crochet tenue fermement hors de vue de la balle. Au moment même il atteignit le piédestal, il cingla la balle à une anse. Croyant l'avoir possédée, MarKaren s'apprêtait à la lancer au loin lorsqu'il se sentit s'ébranler : il était en train de soulever le piédestal aussi, qui, en dépit de son apparente fragilité, pesait plus lourd qu'un char de métal. Le cristal avait envoyé une tentacule de cristal autour de la balle, l'anse et le crochet. Carbuncle, pieds posés sur un pic de glace tout proche et corps à l'horizontal, élança sa propre batte dans l'action : elle s'ensevelit. Ixia à son tour les imita, ancrée en danseuse à ses raquettes visées sur quelques pas japonais ici et là. Ainsi, trois des quatre anses de la balles se trouvèrent scellées. Inhdra, un air de réflexion, opta pour une course aussi lourde qu'un Mammouth des Plaines Cuirassées de Cendres du Wutai, les pas creusant des ornières, éjectant des monceaux de mousse spongieuse et bleue, serrant la batte telle une hache de guerre, arriva entre Carbuncle et MarKaren qui donnaient champ libre car étant en hauteur et asséna un si puissant coup de batte qu'il brisa le piédestal, libérant les armes de ses compagnons, éjecta la balle à la vitesse d'un blaster suivie par les brisures de cristal et de ceux qui n'avaient pas lâchés leurs battes, comme Carbuncle et MarKaren. La chute fut dure, la balle alourdie chût tout près mais se mêlant à la mousse du sol, elle fut nettoyée et prête à guerroyer ces lourdauds qui peinaient à se relever.

 

            Pendant ce temps, Ixia jetait un coup d’œil aux décombres du piédestal et y aperçut un objet en losange orné de piques. Cet objet en contenait un autre de même forme, en plus petit, de façon à tenir au centre du premier ; le second en possédait un également, de même disposition. Ils étaient solidaires ; pourtant, aucun lien ne les retenait ensemble. Ixia s'apprêtait à les prendre à main nue lorsqu'elle se ravisa : aucune arme signifiait risque fatal. Son arme s'était régénérée et accrochée à la ceinture. En dégageant un peu plus les décombres à l'aide du Marteau de Thor, à tête plate sur un col sillonné de minuscules fresques dessinant des flocons en fleurs, elle atteignit les losanges qu'elle déposa dans le sac à l'épaule. A plus tard, l'examen !

            - Ils servent sûrement à briser du cristal, lui suggéra Renzokou.

            Celle-ci avançait toujours ; elle n'avait pas pris part à l'action des quatre autres. Cependant son rythme s'était alourdi. Elle était courbée sur elle-même, scrutant les environs toujours aussi scrupuleusement, là où elle mettait les pieds chaussés de Charles IX en alliage de titane, là où étaient les autres afin de se tenir au courant des événements. Comprenez la situation : tout cela était bien délicat ! Quatre adultes, experts dans leurs domaines, et elle-même qui se sentait sans talents, dans un lieu qui vivait à ses propres règles.

 

 

            Lentement mais sûrement, les joueurs reprirent leurs pérégrinations, le souffle court, les membres fatigués, les esprits embués. Ils apprirent les fourberies Du Pied Du Mur et de l'ensemble de son contenu. A aucun moment on ne pouvait se fier à cet endroit ! Sauf si l'on aspirait à la mort... Renzokou se demandait si l'on pouvait mourir là, ou si l'on était envoyé dans un lieu plus horrible. Pas de réponse, bonne réponse !

           - Hé, gamine ! Attention ! Renzokou, tu vas buter contre un arbre ! avertit mais trop tard Inhdra.

            De fait, Renzokou se prit un bon coup sur le front. Malgré tout surprise dans ses pensées, elle ne mit pas longtemps à se dégager de l'arbre à l'écorce grise et écailleuse comme celui d'un Requin des Mers du Sud. Il faisait bien cent pieds de haut, aussi mince que les cannes qu'ils utilisaient, dont les branches ressemblaient à une chevelure de princesse quoique verte et pas une feuille à l'extrémité. Ce n'était néanmoins pas le plus surprenant : en effet, l'arbre filiforme se mit à mouvoir, d'abord lentement comme on se réveillerait d'un long sommeil, puis il s'agita comme sous l'impact d'une violente rafale. Soudain, le tronc se gonfla d'un bloc : il mesurait maintenant un bon mètre de diamètre. Suivit une fente en damiers à environ le quart de hauteur. Un souffle fétide s'en échappa ; Renzokou suffoqua, pliée en deux. Ce qui la sauva car l'arbre aussi s'était penché, la bouche ouverte pour mordre et dévorer l'imprudent qui l'avait réveillé !

 

           - Raté ! nargua Renzokou.

           - Obéis à la Loi du Jour des Arbres !

           - Que dis-tu, l'arbre ? jeta Renzokou.

           - Balle de velours

           Vers toi cours !

            Foin de toutes leçons

           Ferme donc le pont !

 

           La voix tonitruante de l'arbre contrastait à la fois avec son aspect débile et sa prestance poétique. Renzokou pouffa de rire, pliée en deux. Cette attitude déplut à l'arbre qui se baissa encore pour mordre.

           - Raté, freluquet ! commenta Renzokou.

           Elle avait quand même contourné l'arbre, mettant de la distance, et avait sorti discrètement son trop long yatagan à la lame opaque et apposé sur le dos. Bien lui avait prise, car l'arbre souleva ses fines branches et fouetta l'air ; elles sifflèrent puis coupèrent les branches des arbres voisins puis s’abattirent vers Renzokou qui riposta en levant le yatagan, opposant une résistance inhabituelle pour une enfant. Les grognements d'efforts de l'arbre se perdirent bientôt parmi des grincements métalliques et les grognements de douleurs, également tonitruants, des arbres aux branches coupées. Ceux-ci, une fois réveillés de sinistre manière, chargèrent sur tous ce qui se trouveraient sur la place, humains et arbres. L'endroit devint une vrai plate-forme de guerre, morceaux de bois qui s'entrechoquaient avec rage, fracas de tonnerre qui assiégeaient l'atmosphère tout autour.

 

            Les hommes se bouchaient les oreilles, cherchant un moyen de fuir cette bataille ; Renzokou toujours coincée sous le poids des branches acérées se glissait doucement au loin. La progression en était si lente qu'elle passait inaperçue ; or, le temps allait avoir raison de Renzokou. Cette dernière lançait des coups d’œil autour à la recherche d'un objet naturel qui se prêterait au rôle d'une arme défensive. Elle situait la position des autres dans son observation, calculant l'espace entre eux : cela ne lui servirait peut-être pas mais elle ne pouvait faire confiance à aucun des hommes présents. D'ailleurs, aucun ne tentait de l'aider, bien que la liane qui grésillait dans le poing d'Inhdra serait bien utile à découper ses branches- couteaux ! Inhdra se contentait de la regarder, mesurant ainsi sa performance ; Ixia se débattait avec les assaillants végétaux à coup de marteau et de batte ; MarKaren feintait entre chaque mouvements des branches-couteaux, se croyant sûrement sur l'océan ; Carbuncle se faufilait sournoisement derrière les rochers disséminés sur la place.

 

              Renzokou, disposée en avant de son groupe, visualisa les déplacements qu'effectuaient les arbres-couteaux. Cherchant Inhdra du regard, elle voulut lui indiquer le chemin possible pour s'éloigner de ce champ de bataille avec, au passage, un petit coup de liane-acide sur les branches qui commençaient à peser leur poids. L'acide les trancherait la libérant de leur joug. Or Inhdra se montrait réfractaire à l'idée car il n'essayait même pas de communiquer avec elle. Oui, vraiment, chacun pour soi, dans ce monde aussi bien dans Le Pied Du Mur que dans l'Empire des Trois Cartes !

             Glissant un peu plus loin, elle comprit que sa manœuvre qui consistait à s'éloigner n'était pas correcte : il fallait biaiser, esquisser les branches, éviter de toucher quoi que ce soit. Alors, elle fit un quart de tour sur place, pencha la lame du yatagan de quelques millimètres de façon à la faire glisser à l'instant adéquat et continua à la tenir mais uniquement d'une main. La main droite, la plus habile, descendit le long de ses jambes qui elles-mêmes se ployèrent un peu afin de l'accompagner dans le geste. Renzokou dévissa quelque chose sur le côté de ses chevilles de fer et, elle  appuya sur un point stratégique tout en effectuant un brusque volte-face de quelques pas. Les branches-couteaux s'effondrèrent, ne trouvant plus d'opposition, et se fichèrent dans le sol bleu. Celui-ci appliqua sa propriété dans le même mouvement : il commença à avaler les branches. L'arbre n'eut plus d'intérêt pour Renzokou et son insolence dans l'unique but de sauver son écorce.

 

             Ainsi, tant bien que mal, les joueurs se regroupèrent plus loin ; mais les distances lointaines étaient aléatoires par ici ! Ils étaient bien essoufflés.

            - Oh, ce n'est pas fini, les gars, se moqua Renzokou.

            - C'est toi qui nous a mis dans cette bataille, éructa MarKaren.

            - Qu'a dit l'arbre ? plaça Ixia.

            - Il faut faire ce qu'a dit l'arbre-couteau, intervint Inhdra.

            - Et c'est quoi ? siffla Carbuncle.

 

            - Ce que vous voulez, tant que la balle velue est trouvée, supposa Renzokou.

            - Mer.., je l'avais oubliée, cette horreur, pesta Carbuncle.

            - Aller au pont et le fermer, conclut Inhdra.

            - Et ce ne sera pas simple, dit Ixia.

            - Ça n'a vraiment pas de sens, ce sport ! C'est débile ! marmonna un MarKaren furieux.

            Ils progressèrent en entonnoir pour couvrir plus de terrain, à la recherche à la fois de la balle velue, absente de la bataille des arbres-couteaux, et de ce fameux pont à fermer...

 

 

            Faire ce qu'avait dit l'arbre-couteau ? Je suis d'accord sur le principe : cherchons à penser fermement à ce pont, il se formera bien devant nous. Le Pied Du Mur était bien capable de ça, j'en étais certaine !

 

           - Peut-on avoir une pause ? suggéra Ixia.

           - Tu t'arrêteras quand tu seras morte !

           - Là, on marche sans trop de problème : essaie de te ménager, conseilla Inhdra.

           - Tu la bichonnes ? railla Carbuncle.

           - Savez-vous pourquoi il n'y a que très peu de vainqueur du Sport ? rétorqua alors Inhdra. Parce qu'aucun Joueur ne s'est allié suffisamment longtemps au sein de leur équipe ! Jamais...

           - Et moi, je veux gagner ! s'écria MarKaren.

           - Marcher et observer, fis-je sourdement. Marcher tout le temps. Observer tout le temps. Ce sont les deux grandes règles. A part savoir combattre, bien sûr.

           Les regards se tournèrent vers moi : étonnés !

           - Inhdra a bien analysé : pas d'alliance totale, pas de mouvements, pas d'observation et pas de combat, c'est pas de vainqueur. On est entré à cinq dans cet antre, alors on en sort à cinq !

 

           Cette idée devait faire le chemin nécessaire : elle était la clé pour sortir de ce stade d'Entraînement sinon nous allions passer directement au Match lui-même sans avoir de répit. Et le Maître des Jeux n'avait pas encore effectué son intervention...

 

           Inhdra scrutait cette gamine trop grande et difforme. Comment avait-elle passé les tests médicaux ?

           - Un autre conseil ? proposa Renzokou.

           - Tu ne corresponds pas aux critères...

           - Je suis recruteur...

           - Donc immunisée ? coupa MarKaren.

           - De quoi : mourir ?

           - Elle sait survivre ! appuya Ixia.

           - Dans le cas contraire, je lui vole son immunité ! noircit Carbuncle.

           - C'est facile de parler de vie et de mort ; les vivre est plus difficile : nous verrons vos action-réaction... Pour trouver ce fichu pont, pensez à le vouloir faire apparaître devant vous...

 

           Inhdra comprit enfin : Renzokou était une Archiveur, ces gens qui notaient toute l'Histoire sur des tablettes et les transmettaient aux générations futures voire aux diverses dimensions de la sphère de vie. Il avait déjà rencontré ce genre d'humains sans qu'il n'ait cherché à les comprendre : il était soldat après tout.

           Penser...

 

 

            Après un temps indéterminé qui, cependant, fit accéder une sorte de repos aux Joueurs, le fameux pont se dessina devant tous, non loin mais encombré de créatures sans nom.

            - Je suppose qu'il faut les dérouiller, diagnostiqua MarKaren allègrement. Ça va changer des balles bizarres...

            - Quelle stratégie...

            - Chacun pour soi, Inhdra, coupa Carbuncle.

 

           Chacun s'élança, ayant pris soin de préparer leurs armes respectives.

            Renzokou renonça à tout se raconter. N'écoutez surtout pas les conseils...

         Chacun acheva leurs adversaires respectifs, assez facilement. Chacun d'entre eux se regroupèrent, comptant les blessures, cachant les objets récoltés à la fin de chaque duel. Jusqu'à ce que le véritable gardien se tint devant eux...

           Que dire de plus ? Franchement...

           Renzokou regarda le sol, perplexe. Enfin, elle décida de combattre cet animal qui avait un faux air du Minotaurus Crétois, en plus reptilien. Des écailles donc un gros pouvoir de bouclier. Elle allait s'élancer vers lui et entamer un combat, ce qui inciterait les autres à établir leurs stratégies respectives. Ensuite, elle se mettra à l'écart et sa véritable stratégie à exécution.

 

            S'élancer, c'était vite dit : Renzokou apporta un réglage à ses chevilles de fer puis s'ébranla, tel un Transformer, le pont vibrant quelque peu sous sa démarche lourde. Le Gardien ne bougeait pas de son poste : Renzokou était encore une quantité négligeable. Celle-ci s'approcha : cherchant des yeux les points dénudés d'écailles, comme au niveau des articulations et du visage, endroits hors d'atteinte mais néanmoins cruciaux. Arrivée tout près sans avoir été éjectée, elle leva son yatagan et tenta de piquer la peau de la jambe... qui la frappa et l'envoya valdinguer contre le bastingage du pont.

 

            Pendant ce temps, MarKaren tournait autour du Minotaurus en l'esquivant habilement, telle une Mouche TséTsé s’apprêtant à piquer de son dard. Il avait sortit de son sac à dos en coque de plastique des sortes de petits tubes qu'il allumait et, dans les secondes qui suivaient, les piquait à ces lieux sans écailles. Pas de douleur pour le Gardien : les tubes se fichaient à peine et un coup d'air un petit peu fort les ferait tomber. Mais cette chute n'avait pas encore lieu que les tubes explosaient, là donnant à souffrir au monstre : une poussière jaune avec une odeur de soufre enveloppait un instant l'endroit de l'impact, se collait à la peau, s'infiltrait sous les écailles puis explosait : ainsi brûlait et envoyait des échardes de tubes tout autour.

 

             Inhdra s'était drapé de la liane vénéneuse, suffisamment longue pour s'en servir de lasso : d'un beau geste, il lança autour du coup à peine quelques secondes avant la réaction de défense du Minotaurus. La liane fit alors son travail d'acide : elle rongea les écailles et quand bien même celles-ci étaient bien solides, l'acide eut un effet. Le Minotaurus grogna de douleur et de fureur ! Il s'agita dans le but de se débarrasser de cette corde, ne la touchant à peine sinon il se brûlait : il se mit à donner des coups de sabot, tel un taureau dans une arène. Or, Inhdra, avec sa force et son armure d'or, tenait d'une bonne poigne le lasso et contrôla donc le Gardien, le maintenant immobile le plus longtemps possible soit jusqu'à ce que ses compagnons exécutèrent leurs attaques ou que la liane ne contînt plus de sève vénéneuse.

 

             Carbuncle préféra une attaque directe. Sans autre type de procès, il chargea le monstre, parvint à le contourner et bondit sur le dos. S'accrochant aux cornes courbées en carré pour ne pas tomber dans la fureur, il tira de son arme à feu dégainée : une rafale courte de lumière, très certainement avec décharge électrique parce que des étincelles éclatèrent de part et d'autre. L’œil agressé, le monstre tentait de capturer ce parasite, n'hésitant pas à taper le crâne. C'était sans compter l'agilité de Carbuncle qui se plaçait de telle façon à ce que les coups donnés tapaient là où c'était le plus sensible. Le monstre allait-il être défait par sa propre arme ?

 

              Ixia fut furtive, bien qu'elle tenait à peine sur pied tant le Gardien faisait valser le tablier du pont. Aux pieds du Minotaurus, elle traça des cercles de craie blanche à peine perceptibles sur le pont. Le bois se couvrit d'une couche de froid : de la glace qui avançait en cercles dans la direction que donnait Ixia par l'orientation de ses dessins. La glace atteint enfin les pieds du Gardien et grimpa vers les jambes. La fine couche qu'elle était s'épaissit alors, à la mesure de la chaleur que dégageait la créature. De ce fait, ce dernier s'immobilisait : l'emprise de la glace n'était pas rapidement totale, comparée à la force brute que dégageait le Minotaurus lui-même. Cependant, elle fit quand même son œuvre.

 

              Renzokou intervint enfin. Elle s'était, tant bien que mal, éclipsée de la zone de bataille. Dans son repli stratégique, elle avait regagné le terrain au sol mousseux. Là, à l'aide de son yatagan, elle avait fouetté très largement le sol en forme géométrique simple. Ensuite, depuis la pointe de la canne crochetée, elle souleva de grandes surfaces de gazon et, secondée par l'arme blanche, elle tranchait dans le vif de la mousse bleue. D'un geste prompt, elle fit déployer dans les airs la nappe de mousse.

              De là, elle laissa la nature Du Pied Du Mur faire son œuvre. Effectivement, la nappe de mousse s'arrondit par ses bords tranchés : dès qu'ils se touchèrent, ils se soudèrent, concevant une étendue sphérique. Et, comme lors un vent qui soufflait dessus, l'étendue de mousse frémit, prenant vie : chaque brin s'anima et s'allongea. La boule bleue prestement ouvrit deux points rouges parmi les brins de mousse. D'un éclair, elle traversa les airs vers Renzokou qui se tenait nonchalante non loin.

              Renzokou ne put s'empêcher de glousser de rire. Elle fit basculer discrètement sa canne de combat et se terrant sur elle-même, percuta le boule de mousse au bon moment. Elle la posta directement sur le Minotaurus.

 

              -Taïaut !! Attention à la balle velue ! cria-t-elle à pleins poumons.

 

              L'habitude bien acquise, les quatre autres l'évitèrent facilement, sauf le Gardien qui la reçue en plein poitrail. La boule de mousse bleue s'étala si vite que nul ne put voir correctement. Bientôt, une seconde boule et puis une pluie suivirent : le Minotaurus se recouvrait de mousse bleue qui avalait tout sur son endroit.

 

              Le Minotaurus s'ébranla enfin dans ses jambes et, en deux coups et trois mouvements de plus, affligés par les Joueurs, le monstre s'écroula sur la surface polie du pont. Un cri de victoire s'échappa, et des félicitations réciproques. Des monceaux de glace volèrent, le sang gicla en éclaboussant : divers morceaux organiques pleuvaient tout autour. La mousse même avait débuté son invasion du pont, nouveau territoire dont elle n'avait pas encore perçu la présence.

              Les Joueurs n'en avaient cure car, entraînés dans leur victoire, ils cherchaient maintenant à comprendre le sens du texte de l'arbre-couteau.

              - On ferme comment ce pont ?

              - Écoute bien, blanc-bec, susurra Carbuncle d'une voix reptilienne.

              MarKaren n'entendit pas le commentaire de l'homme-cadavre en dehors du grondement qui montait dans les airs.

 

             Le pont tremblait depuis ses fondations de plus en plus puissamment. Le bois se fendait par endroits. Des pans se détachaient et tombaient en contrebas, dans le gouffre dont aucun ne savait jusqu’où il descendait. Et puis, le savoir, c'était mourir, non ? Il fallait fuir ! Tous se mirent à courir, non pas vers d’où ils étaient arrivés, mais plutôt du côté opposé. Les plus rapides furent MarKaren, Ixia et Carbuncle ; Inhdra les suivait de près. Il n'y avait que Renzokou qui était à la traîne : en pour cause, ses chevilles de fer ne s'alliaient pas à la course, Renzokou ayant pourtant dévissé l'écrou de contrôle au maximum de légèreté.

              La course fut éperdue : le pont était si long. Les pans tombaient juste derrière leurs talons ; s'ils en tombaient devant eux, les longs sauts les sauvaient ou la planche de surf de MarKaren parvenait à les transférer un court instant. Néanmoins, Renzokou pesait de beaucoup trop pour la planche de surf, elle fouillait du regard le sol qui se démantelait, elle progressait de poutre en poutre qui se présentaient comme plus solide que le tablier : malheureusement, quoiqu'elle fît, elle était trop loin pour atteindre à temps la rive en face.

 

              Une action inattendue se produisit alors... Un gros bras s'empara de Renzokou, tel un sac de sable, qui fut jetée à l'épaule et emmenée assez aisément. Inhdra avait en effet rebroussé chemin pour la secourir.

              Renzokou, à l'instar des trois autres, dévisagea le soldat. Quelle mouche l'avait piqué ?

              Sans répondre de vive voix, Inhdra ébaucha un signe vers le poing serré de Renzokou, que celle-ci desserra, signalant l'existence d'un collier à l'effigie du Minotaurus. De quoi se composer une armée de monstres sous les ordres des Joueurs ! Le début du moins...

             Cependant, Renzokou y voyait là l'introduction de l'alliance entre eux, sans que personne ne voulut l'admettre. Il faudrait encourager cet acte significatif...

              D'un mouvement vif, Renzokou envoya le Minotaurus Neck dans les bras d'Ixia, la désignant comme première porte-flambeau de leur équipe.

 

             Nul ne protesta, chacun appréciant intérieurement ; enfin ce que je supposais. Qu'allons-nous acquérir encore ?

            Que voyait donc le Maître Des Jeux depuis sa tourelle ?

            Il ne s'était pas manifesté ; rien de bon, à mon avis ; comment nous avait-il jaugé et donc la force de ces nouveaux Joueurs qui comptabilisaient plus de points que les cuvées des dernières décennies ?

 

            Un roulement se fit entendre, le jet de lumière bleutée qui les avaient accueillis dans Le Pied Du Mur zébra le ciel artificiel une nouvelle fois, présageant le changement de décor. Les Joueurs s'aplatirent au sol, prenant soin de retomber sur une surface privée de mousse bleue ou de se trémousser un instant malgré le ridicule de l'acte.

           - Cela ne s'était jamais arrivé auparavant, souffla Ixia.

           - Je crois que ça commence, répondit Carbuncle au même ton.

           - Quoi, on n'a pas de répit ? s'étonna MarKaren.

 

          Non, le Maître Des Jeux avait déterminé que nous ne pouvons quitter ces lieux en aucun cas !

          - Si vous sortez d'ici maintenant, allez en ville, immanquablement vous vous vanterez des vos exploits pendant l'Entraînement ! supposa Renzokou.

           - Et c'est très mal vu avant le Match : il va perdre sa réputation, finit Inhdra.

 

           - Et Personne ne sort du Sport, pensèrent-ils à l'unisson.

 

 

 

             *Chapitre du Sport*

 

 

 

             Peu après, Le Pied Du Mur permit l'entrée des Joueurs en son ventre. Chacun se pressa avec l'excitation d'un grand Jeu à venir et tout en gardant l’impassibilité des vétérans.

 

            Rien ne prévoyait de changements par rapport à l'entraînement. Or, tous espéraient qu'ils s'en présenteraient, moi y compris. Les muscles se contractaient spontanément, les sens enregistraient la moindre information, chaque regard entre nous portait une signification précise, chaque pensée élaborait les plans de bataille à plusieurs ou seul. Les instants se chargeaient en énergie qui allait faire notre bonheur, en spectateurs invisibles pour nous, en chausse-trappes pervers pour nous et en tous dispositifs qui allaient faire notre bonheur !

 

             - Entrée ! claironna soudain le Maître des Jeux.

             Notre impatience nous dévorait. Le Maître des Jeux y verrait sûrement comme un signe avant-coureur d'une faiblesse et de sang chaud. Or, ce sera nous qui ferons le chaud et le froid dans cette arène ! Nous sommes forts...

 

             - Hé, personne ne nous a dit qu'il y aurait des adversaires ! s'écria MarKaren.

             Inhdra, Carbuncle, Ixia et moi-même grimaçâmes de contentement - je crois bien que MarKaren aussi...

 

              - Qu'attendez-vous ? soupirai-je. La caverne nous attend elle aussi... Nous sommes forts ! Allons gagner le Sport...

 

              ( NDLR : La suite est en course.)

 

 

 

 



22/10/2011
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