A la Lueur du Lampadaire !

Ch 1 Terra Nova : Lucy

 

 

 

 

 

 

"Lucy, ne t'approche pas de la mare ! Et ne te salis pas !

"Lucy, veux-tu bien lâcher ce triton, tout de suite ? Mon Dieu, c'est répugnant !

- C'est pas un triton, M'am, c'est une salamandre. Une salamandre de feu !"

 

Lucy se réveilla en sursaut, trempée jusqu'aux os de sueur et de l'humidité de la jungle. Un grondement bestial était la véritable raison de son réveil en pleine nuit. Mais il était loin, juste un écho. Ah, elle donnerait n'importe quoi pour avoir une salamandre de feu de son enfance sous la main plutôt que ces improbables dinosaures de vingt mètres de haut.

Elle donna une légère impulsion à son hamac de liane et se laissa bercer en contemplant les étoiles encores nouvelles nées.

 

 

Le ciel était si bien dégagé que la visibilité était parfaite à des kilomètres à la ronde, sans exagération. On aurait cru que tous les nuages soutenaient, par leur absence, le soleil à chauffer la colonie en pleine effervescence.

Effectivement, les gens couraient dans tous les sens, allant prestement exécuter d'importances tâches.

Jim Shannon, le shériff de Terra Nova, cette colonie de mille âmes perdue dans le monde des 85 millions d'années d'avant notre ère, était à l'affut du suspect qu'il pourchassait, assis à une table de la taverne locale. Sa femme, le docteur Elisabeth Shannon, chef de l'infirmerie, venait à peine de quitter sa compagnie après lui avoir communiqué des informations d'ordre biologique qui ne pouvaient attendre. D'ailleurs, cela ajoutait de la crédibilité à son rôle : un couple bavardant un instant est moins suspect qu'un type qui scrute la même table des heures durant.

Dehors, le commandant en chef de Terra Nova, l'officier Nathaniel Taylor, aboyait ses ordres que les soldats de l'unité en service exécutaient encore plus vite que les civils qui travaillaient avec eux. Parmi eux, respectivement, Maddy Shannon qui apportait les denrées alimentaires non périssables et le lieutenant Mark Reynolds qui surveillait la mise en colis des armes à déflagration se saluaient à chacun de leur croisement. Plus loin, Josh Shannon et Skye Halliwey remplissaient l'un les cartons mis à disposition et l'autre la fiche de controle qu'elle allait ensuite faire contrôler par le docteur Malcom Derek, chef du département biologique de la colonie.

Tous ces préparatifs avaient pour but d'aller explorer une carrière de roches qui étaient devenues indispensable à la technologie existante de 2149 dans la colonie, en autre, guérir de cette maladie, la grippe scinciphale, qui avait emportée les parents de Skye et n'avait donc pas de traitement curatif ni une possibilité correcte de synthèse. 

Le convoi fut enfin prêt : les soldats, dont le commandant, en charge de la protection prirent position en titillant les scientifiques d'accélerer le rythme d'embarquement. Le commandant donna les dernières instructions, laissant la colonie encore une fois aux bons soins du Shériff, et tout le convoi s'ébranla. Les Portes de Terra Nova s'ouvrirent pour l'aventure.

 

 

La forêt empêchait l'avancée régulière du convoi. Un véhicule défricheur ouvrait le passage quand il ne rencontrait pas d'arbres trop gros pour être découpés et dont il fallait contourner. Quelques attaques de petits dinosaures diurnes donnaient un peu d'action pour égayer les soldats et effrayer les scientifiques. 

Le trajet jusqu'aux carrières supposées prirent les quatre premières heures du jour, à marche forcée.

Ces carrières ont été découvertes par le groupe dissident à Terra Nova appelé Les Classes Six lors d'une exploration de terrain apte à un camp. Un des Classes 6 souffrait de cette grippe préhistorique et s'était trouvé mieux après avoir bu l'eau d'une rivière. Après quelques analyses biologiques, il s'avéra que cette rivière charriait des éléments minéraux ; le groupe remonta le courant vers la source jusqu'à que celle-ci déboucha de falaises blanches et poudreuses.

Les membres de Terra Nova furent au courant de cette nouvelle lorsque la mère de Skye, atteinte, cherchait à capter toutes les informations concernant cette poudre remède à son mal.

Ils déboulèrent sur un plateau verdoyant depuis lequel une haute muraille blanche de plus de 500 mètres se dressait, interminablement énorme. Des parois lisses excemptes de toute érosion cotoyaient une partie infime, comme verrolée, défigurée de quelques tonnes de pierres à force d'explosifs.

Choisissant un bon emplacement pour dresser le campement, protégé de la faune extrêment agressive, Les scientifiques plantèrent leurs tentes-laboratoires de fortune plus vite qu'il n'avait fallu de temps pour quitter Terra Nova. Avec une minutie toute scientifique, ils planifièrent ensuite la seconde exploitation que les carrière de l'anti-scinciphale n'avaient vu dans leur longue et tranquille carrière de falaises naturelles.

 

 

 

Le retour se fit dans le même ordre des choses, restant le plus possible sur le même chemin, mais en plus lourd de plusieurs tonnes et plus lent de plusieurs jours. Pas de risque d'attaque de la part des Classes 6 car cette exploitation suffisait aux deux groupes, malgré la tension qui avait amenée la communication de cette information vitale. Le convoi s'arrêta plusieurs fois pour débourber les camions, contrer les assaults furieux d'un couple de sauriens en recherche de territoire de chasse et assurer la protection de l'ensemble pendant les nuits.

Jusqu'au moment où la dernière nuit en pleine jungle allait sur sa fin, le couple de tauroraptors se fit plus violent et dispersa l'unité de garde. Le matin servit donc de temps pour retrouver les disparus car on n'abandonnait jamais un des siens, même mort. Sur les cinq soldats, en piteux état, un seul manquait à l'appel : le lieutenant Reynolds. Le commandant Taylor assigna alors un peloton de quatre hommes chargés des recherches approfondies. Il ordonna le retour du convoi à la colonie puis,escorté de quatre hommes supplémentaires et deux véhicules, rejoigna les efforts de recherches.

 

 

Une respiration accompagnée de râles mouillés attira l'attention de Lucy. Pas de dinosaures qui respirent de cette manière n'existent dans ce monde au centre de la Terre, se dit-elle. Délicatement, elle se pencha depuis son perchoir, laissant glisser les lianes qui la soutenaient vers le sol. Une forme couleur kaki s'était adossée contre un tronc, trois arbres plus loin. Tout ce qu'il y a d'humain. A moins que les hommes préhistoriques pleuplent déjà ces terres, pensa-t-elle. Elle avait toujours été peu versée dans l'Histoire humaine. Non, il est trop vert kaki, donc un soldat. S'approchant plus près, l'odeur métallique du sang agressa les narines. Oh, un blessé qui ne le restera pas longtemps si un dinosaure pointait sa gueule dans les parages... Et quand on parle du loup, on en voit la queue, se souffla-t-elle dès que le grognement d'un tauroraptor se fit entendre.

Elle dégringola de sa position et se précipita vers le soldat. Lt Reynolds, écrit sur le pectoral gauche de sa veste. Le jeune homme venait de perdre conscience, un instant seulement car il s'ébroua quand Lucy le toucha au bras. Il se mit sur le qui-vive, non pas pour se défendre contre elle, mais pour suivre ses initiatives, compris d'un regard de connivence.

Il fallait d'abord se débarrasser de cette odeur de sang qui était le parfum le plus puissant de la jungle. Même masquée, elle restait elle-même ; même nettoyée, elle gardait de son essence en traces si infimes, si imperceptibles dans l'air, indétectable par l'homme mais inoubliable par l'animal. La poitrine de Reynolds, là où se situait sa blessure, était recouverte d'une sorte de boue noirâtre : bon réflexe que d'utiliser les excréments sauriens comme camouflage. Le soldat savait donc survivre. Lucy renouvela le camouflage par de la boue plus fraîche sortie d'une boîte en cuir qu'elle portait en bandoulière avec une foule d'autres instruments.

Ensuite, il fallait déguerpir au plus vite. Elle soutena donc Reynolds par le bras passé par-dessus ses propres épaules et, clopin-clopant, ils atteignirent l'arbre d'où Lucy était partie. Elle entoura Reynolds et elle-même par la sorte de baudrier à la Robinson Crusoe puis hissa de toutes ses forces. Elle gémissait, respirant par à-coups ; les cordes et poulies grincèrent sous le poids mais tinrent le coup. Les pieds contre le tronc sur lequel elle marchait, ils remontèrent lentement mais sûrement vers la canopée. Reynolds exprimait sa volonté d'alléger la charge, or ses premières tentatives ne firent qu'embêter la démarche : alors il s'abstint.

 

La cime plongea vers ses congénères, mais pas le sol. La zone se fit plus densemment feuillue, renforçant l'invisibilité des deux humains. Juste à temps car le tauroraptor se profila en dessous. Malgré le subterfuge, le dinosaure sentit la présence de sa proie. Il huma l'air, fouilla les alentours au sol, grogna de rage en expulsant une haleine nauséabonde, griffa les troncs à portée des ses serres meurtrières. Il tourna en rond, ne voulant pas renoncer à sa proie. Recommença son tour d'inspection, s'éloignant pour mieux revenir là où Lucy et Reynolds étaient cachés. Si jamais le reptile levait la tête, il les verrait comme on voyait un lampadaire en plein jour. Sauf qu'il ne la levait pas suffisamment.

L'étrangeté de la scène parut irréelle à Reynolds. Leur silence ne trompait qu'eux-mêmes : l'odeur camouflée de terre, d'excréments et de sang, mêlée à celle de la peur encore plus forte, renseignait de leur présence dans cette place. Et pourtant, on ne les vit pas. Le tauroraptor s'en retourna, abandonnant.

Lucy donna de la marge au tauroraptor pour qu'il s'éloignât mais ne resta pas trop pour éviter un éventuel retour avec des renforts. Avançant en s'accrochant aux cimes voisines, Lucy prit la direction de l'est, d'après la boussole au poignet valide que Reynolds regarda.

 

Une sorte de cabane dans les arbres, folle, à l'accès facile même avec un seul membre, servait de refuge à Lucy. Elle déposa Reynolds sur les tronçons de branches brancales, à peine reliées entre elles. Ne défaisant pas les baudriers, elle s'affaira aux premiers soins de la blessure à la poitrine du soldat. D'ailleurs, celui-ci allait tourner de l'oeil : elle le gifla en disant :

"Soldat ! Qui êtes-vous ? Dites-moi où sont vos blessures, soldat ? Parlez-moi !"

Elle forçait sur les mots avec un étrange accent. Reynolds obtempéra, flairant là les paroles d'un officier supérieur - il avait la certitude qu'elle-même était militaire.

"Oui, mon capitaine ! Je n'ai aucune autre plaie que celle à la poitrine. Je m'appelle Mark Reynolds, lieutenant de la 2nde escadre de Terra Nova..."

Pendant qu'il débitait son flot de paroles, Lucy lui découvrit le thorax et essuya soigneusement avec de l'eau saumâtre le sang et finit par déposer une compresse de feuilles souillée d'une boue verte agréablement parfumée. En bandant le muscle avec un tissu par ses propres moyens, Reynolds prit son temps pour étudier les lieux et la personne qui l'avait sauvé.

"Tu mangeras ?

- Oui... hésita le jeune homme. Il se demandait bien quoi.

- J'ai des crudités préhistoriques et un steack de dino. Ça te dit ?

- Hein ?..."

Sans plus de discours, Lucy déposa devant lui une large feuille contenant une tranche de viande ovale cuite et quelques tiges vertes et fleurs blanches.

La bouche pleine, elle ajouta : "On partira vers chez toi après le petit-dej' !"

 

 

Lucy resta bouche bée lorsqu'elle découvrit la place forte qu'était Terra Nova. Les barrières de bois brun coupaient la monotonie du ciel d'un trait mathématique. Magnifique aussi. Comment un camp d'une telle grandeur peut-il résister à ces temps jurassicaux ? Reynolds la contemplait, soulagé de rentrer sain et sauf à la maison. Ils étaient encore à la lisière de la jungle qui bordait la colonie et son esplanade de plus d'un kilomètre de large.

"On va marcher. Pas de pièges ?

- Un fossé, 200 mètres avant la barrière."

Ils se mirent en marche, toujours soutenant l'un l'autre, d'une cadence régulière. Le souffle décalé de Reynolds, du aux efforts de marche, et celui saccadé de Lucy parce que coupé par l'admiration formaient le seul son qui rythmait leur avancée. Au fur et à mesure de leur approche, les cris de voix humaines dans le lointain résonna bizarrement. Pour Lucy, cela était chose agréable que des vocalises aient un sens orthographique. Qu'elle en comprenât le contenu par des mots, non plus par l'empathie homme-animal. De même, les gestes qu'ils firent avaient une apparence intelligente, malgré la menace réelle qu'ils représentaient. De loin, elle les voyait courir dans tous les sens, pressés par quelque chose d'important qui ne souffrait pas de légereté. Eux-mêmes, sûrement, puisque le jeune lieutenant à ses côtés était blessé.

Ce dernier ne râlait plus. Non, il scrutait avec attention le comportement des guetteurs. Qu'il trouvait quelque peu anormal. Bien sûr, il était heureux d'être à la maison, ou presque, et de revoir sa routine et ses problèmes qui finalement n'étaient aussi graves qu'à son départ. Et ce fut cette routine bien rodée qui lui indiqua que le comportement des soldats aux guérites était inhabituel. Comme en temps de crise. Les guérites avaient braqué leurs armes dans leur direction malgré le peu de risque qu'ils représentaient. A terre, des véhicules blindés d'hommes étaient prêts pour sortir.

 



26/06/2013
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