A la Lueur du Lampadaire !

L'Instant D'Après

Écriture sous contrainte : From CappucinoTime

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Texte à lire

Les Coulisses

 

 

 

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L'INSTANT D'APRÈS

 

 

 

            Tout le monde connu s'était rassemblé dans la salle. Le staff se disait être prêt à commencer la conférence scientifique et de presse. Moi aussi.

 

 

            On l'appelait Monsieur. C'était un titre trop ambitieux. Mais on ne l'écoutait guère: on continuait à l'appeler Monsieur. C'en était devenu une habitude.

            « C'est très aimable à vous de me présenter sous ce jour, mon cher Lightmann !» Et d'en prendre le temps malgré le fait que nous n'avons pas plus de renseignements.

 

            «Mon collègue est le chef de projet. Un homme à la hauteur d'une présidence ayant ce projet très à coeur. Ces deux-là sont dépendants l'un de l'autre. Ils vont changer la face du monde. Toute la génération future, c'est certain !» Et moi, Valence Lightmann, je me mets comme fourmi au travail pour atteindre les objectifs de ce rêve partagé.

 

 

 

            La face de la Terre changeait en ce jour du 18 avril 2020. L'union savante du CNRS-ONERA et de la NASA venait de déposer le brevet pour son idée d'un prototype de moteur nouvelle génération de navette spatiale. La particularité de ce moteur était d'être capable d'effectuer un saut dans l'espace. L'idée était déjà exploitée par ces organisations mais un brevet s'imposait avant que cela ne présentât de fuite et ne déclarât la guerre aux différents super-fédérations de la Terre. Et donc de la rendre publique et ouverte à la concurrence.

            «Mesdames, messieurs, je vous prie d' accueillir Monsieur. Il sera amène à vous relater lui-même dans les détails tout le projet : ses tests et ses résultats.» Certes, il n'était pas un chercheur ou un ingénieur - il en avait raté les diplômes, il s'était investi si profondément qu'il en avait appris beaucoup de choses : on aurait dit un des plus anciens chercheurs du projet.

 

 

            Les scientifiques spécialisés dans les calculs astronomiques suivaient sur les moniteurs la progression de la navette spatiale lancée depuis la base de la Guyane Réunifiée. Justement, la navette dépassa l'atmosphère sans rencontrer de réels problèmes, malgré son prédécésseur qui avait explosé sous la surcharge du moteur. Elle se positionna en orbite géostatique afin de commencer son important travail : le calcul des portails hyperspatiaux près de l'atmosphère terrienne. Effectivement, les savants ayant inventé cette nouvelle technologie l'avaient calculée selon les conditions du cosmos ; ils n'avaient pas tenu compte des variations qu'apporteraient la couche d'ozone car le vol dans l'hyperespace partant depuis la terre était impossible. Du moins, jusqu'à maintenant...

            Depuis un point quelconque du cosmos peut s'ouvrir un portail dans une matière qui accélère le déplacement des engins spatiaux. En tous cas, la seule contrainte est de ne pas être dans la proximité d'un astre quel qu'il soit - planète, étoile, satellite ou astéroïde. Parce que le cosmos est vide de matières, du moins de matières lourdes comme dans une atmosphère, et beaucoup plus expansé, le saut en hyperespace a été facile à calculer. Bien sûr, les humains sont gonflés d'ambition et, par conséquent, les organisations nationales telles que la NASA ou le CNRS-ONERA ainsi que certaines entreprises privées très riches telles la Persian Office Ltd ont cherché à adapter cette technologie de saut dans l'espace aérien. Cela a été très malheureux car les échecs atteignaient un nombre astronomique. Malgré cela, les recherches ont continué car chacun savait l'importance de cette technologie.

            D'ailleurs le déplacement en cas général avait beaucoup d'importance. Qui dit mouvement rapide, dit information plus vite récoltée et distribuée, et donc plus vite rémunérée. Le pouvoir actuellement résidait dans cette rapidité de collecter les informations ainsi que de les stocker - il existait des tours semblables au Freedom Tower, blindées contre toutes les attaques de l'espionnage ou du terrorisme, qui détenaient des énormes quantités d'informations publiques, privées, classées secret défense, dignes d'intérêt ou pas. C'était dire la monstrueuse concurrence de la technologie de diffusion se concentrant sur le réseau informatique, l'hyperespace ou semblable progrès scientifique était écrasante.

            La Persian Office Ldt était déjà très innovatrice dans le domaine du déplacement. En effet, ce fut elle qui ait inventée et installée les couloirs d'hypervitesse. Et c'était donc vous dire le gain de temps qu'ils permettaient ! Les trajets de trois heures ne demandaient plus qu'une heure ; les rendez-vous entre les capitales européennes n'étaient plus que des trajets de type national. Londres était à la porte de Paris, Berlin en formait une des fenêtres et Istanbul n'était qu'à un jet de pierre de là. Grâce à un astucieux système de pression de l'air accouplé à la vitesse des chevaux-moteurs installés dans les couloirs d'hypervitesse, le véhicule, s'insérant dans ce qui était un couloir et étant maintenu par les liens mécaniques, était projeté à très haute vitesse dans un tube rectiligne au début de trajectoire puis se laissait aller à la course dans ce boyau virant en de larges courbes et était enfin doucement arrêté par des hydroliques supportant les hautes pressions. De toutes façon, les détails ne pouvaient être révélés car ils faisaient partis du secret industriel de cet appareillage.

 

 

            Un des scientifiques dans la salle aux moniteurs était en train d'expliquer à un politicien en visite que le calcul des éléments de l'atmosphère en était bien plus simple en orbite plutôt que sur terre car les appareils mesureraient directement les variations de l'atmosphère. Les astronautes qui s'étaient embarqués, au nombre de trois et spécialisations complémentaires, n'étaient présents que pour contrôler la vraissemblance des calculs. Le politicien ne semblait pas convaincu de l'utilité du saut hyperspatial dans l'atmosphère, surtout en cette période d'élection qui changait chaque chose mal réglée du quotidien en catastrophe. Le doute s'était installé face aux accidents dus à de mauvais réglages ou de calculs erronés sur le moteur hyperspatial. Ces accidents dépassaient le cadre des employés, d'abord militaires puis publiques, en touchant des populations en dehors des essais. Cela provoquait des explosions à large spectre ou des accidents ponctuels; l'ensemble étant plutôt extrême. Cela en était ainsi devenu une lutte, à l'instar de la lutte contre l'utilisation du nucléaire dans les industries électriques puis aérodynamiques, aussi bien militaires que civiles. Chaque occasion qui se présentait pour arrêter cette abomination ne se laissait pas passer et chaque jour voyait les anti-hyperspatiaux atmosphériques augmenter en nombre. La Persian Office Ldt en était bien consciente des risques encourus et de l'impopularité du projet technologique ; or les avantages tactiques aussi bien que commerciales en étaient dix fois plus important ! Alors elle proposait des compensations diverses au gré des employés, qui sembleraient ridicules comparées à la mort s'il y avait un accident fatal mais qui attiraient et aidaient à une vie bien plus que confortable !

 

 

            «Je suis désolé. Monsieur Lightmann, je ne peux absolument pas accorder de crédits pour ce projet !»

             «Tant pis, alors. Passez à autre chose.»

             «?»

            «Je ne discute plus. Il y a plusieurs dizaines autres personnalités qui ne demandent qu'à être le précurseur de cette nouvelle technologie !»

            «?»

            «Oui, la technologie du saut est beaucoup trop avancée dans sa réalisation et a soumis la planète entière à de lourdes pertes pour être abandonnée si près du but.»

            «Cela va vous prendre encore des années !!»

            Le savant haussa une épaule : «Vous le saurez par la presse...»

 

 

            «Nous sommes la veille de Noël. Un jour historique...»

           En ce jour historique du 24 décembre 2057, comme le qualifiait la presse mondiale, la nouvelle s'était répandue moins d'un demi-quart d'heure sur tous les supports électroniques. Je l'avais lue sur mon bouquineur branché au réseau. Ça avait gâché ma lecture de la mythique Odyssée. Le premier saut en hyperespace atmosphérique avait été effectué avec réussite de Londres à Paris depuis les anciennes pistes d'envol d'Heathrow, à bord d'un Airbus A4002, gros appareil de la taille de six cultissimes Airbus A380, avec à bord beaucoup de personnalités du monde. Trois ans s'étaient écoulés depuis ma discussion avec ce politicien ; Londres était devenue le centre des affaires aérodynamiques - toutes les décisions concernant le moteur de saut passaient par elle ; m'étant engagé dans l'ambitieux projet, je ne pouvais pas ignorer cette information : le vol s'était très bien passé, malgré quelques ronflements inquiétants que j'avais comprise comme une blague douteuse.

 

            «Bon, voilà le Réveillon encore meilleur, non?»

            «Tu parles ! Londres va être invivable !» grommelais-je.

           «C'est l'occasion de visiter Paris et la Pyramide du Louvre et on fera le trajet en A4002 !» Monsieur avait ce si large sourire qui savait faire plier toutes les volontés récalcitrantes.

            «Non, Monsieur ! Tu sais le nombre d'accidents qui surviennent-»

            «Oui, Valence. J'en étais le chroniqueur !»

           «Tout, tu as tout fait pour me sortir de là, Mônsieur.» Je savais pour ses tentatives de sauver mes jours car j'ai ce qu'on qualifierait de santé fragile mais je passais tout mon temps libre devant les écrans du laboratoire. Je voulais une réussite totale !

           «Sérieusement, je suis content que le projet soit fini. Je vais me prendre une année sabbatique : que des vacances ! Viens avec moi, toi !»

            «Je veux bien mais je ne rêve que d'aventures... loin de la technologie-»

           «Feu de camp et gourdin de chasse, peau de rhinocéros sur le dos et os de fémur dans les cheveux. Ça va être d'enfer !»

           «Pas tant que ça !»

           «Tu veux quoi, Valence ?»

            «Tester le A4002 !»

            Son sourire fantastique fendit la face de Monsieur. «Oui, mon Capitaine. Je planifie l'embarquement !»

            «Il me faut juste un peu de temps pour finir ma lecture...»

 

 

            Ça avait pris plus d'un trimestre pour tout planifier, un an après cette conversation au bord de la Tamise, là où subsistait cet horrible musée de cire qui avait mangé le superbe planétarium de mon enfance. Monsieur avait fait affréter un bel appareil, un authentique A380 qui avait été renforcé, bien sûr, et adapté au moteur de saut. Il avait également finitionné ses affaires, sur mon insistance arbitraire, un peu comme on liquiderait nos comptes bancaires et paierait les dernières factures et promesses et lèguerait le reste des deniers et affaires personnelles à des oeuvres de charité et aux amis. Cette réaction avait plongé ces derniers dans une inquiétude innommable et les avait conduit à une surveillance aiguë : un têtu d'entre eux nous chaponnera et contrôlera toutes les installations.

           «Nous allons revenir ! Sauf que nous ne savons pas encore dans combien de temps.»

           «Et, ne m'écoutez pas quand j'ai dit sans aucune technologie ! On aura tous nos moyens de communications.»

 

 

            La rampe est installée, les contre-contrôles sont okay, la piste est dégagée. Monsieur est sage aujourd'hui ; il n'a pas cet air sérieux quand il est au bureau en pleine négociation avec les investisseurs ; il n'a pas non plus cet air hilare, dans ses moments de repos, qui explose dès qu'une idée délirante lui passe par l'esprit. Lui comme moi allons tester l'appareil qui a vu notre vie passée à son chevet ! Ce moteur d'hyperespace atmosphérique renommé hyperaérien. Très excitant !

            Heathrow m'apparaît dans un halo de lumière, fantomatique, avec cet aspect historique comme au moment du premier vol du premier avion de l'histoire. Bon, je sais que ce n'est pas véridique, pas le bon lieu, pas le premier vol hyperaérien et cetera. Je ne parle que de l'ambiance : je sens presque le vieux cuir d'un blouson d'aviateur sur nos épaules; je vois presque au travers de ces épaisses lunettes d'aviateur. Heathrow, te reverrai-je, à notre retour ? Je me murmure de douces paroles.

            Le fuselage se mit à vibrer avec le moteur conventionnel à ronronner. Le comptage s'effectue sans nous stresser - il n'y a plus ce décompte antique.

             Monsieur me tape dans le bras : oui, je suis le pilote et lui, le navigateur parce que j'ai gagné cet honneur à pierre feuille ciseaux qui nous a toujours départagé dans les instants de grosse rivalité.

            Les consoles sont allumées de part et d'autres de la piste et de la tour de contrôle. Les techniciens, qui conduisent l'expérience remarquable d'un de leurs patrons et d'un valeureux collègue, sont absolument vigilants ; les journalistes, qui couvrent l'événement inratable d'un des patrons de Persian Office Ldt partant en vacances à bord d'un appareil d'envergure et sans autres passagers qu'un obscur spécialiste ès astronomie, sont d'une curiosité absolue.

            L'ensemble de l'Airbus vibre puis, d'un coup, les tuyères lâchent les gaz sous pression dans une grosse flamme. Une vague de chaleur envahie la piste, brûlant les matériaux autour - heureusement que c'en est des débris. La température augmente de façon exponentielle - heureusement que la coque en soit solide.

          L'état incandescent de l'A380 atteint un très haut niveau et génère brusquement assez d'énergie pour effacer le transporteur de la piste de Heathrow...

            Un trait lumineux traverse la piste d'envol. Et disparaît, laissant une forte impression rétinienne.

 

 

 

            «Crois-tu qu'on nous observe en WebbSpaceTel ?» demandai-je à Monsieur.

             «Possible ?»

 

*

 

           «Décollage impeccable !» s'exclama un des agents de la tour de contrôle.

           «Monsieur Le Patron s'est enfin décidé à tester son invention !» ajouta le second, mâchant un carré énergétique fenouil-curcuma.

 

*

 

           «J'en doute.»

          «C'est censé être un trajet court, non ?» Il me semblait un peu bizarre de sentir un temps plus long que mes calculs donnaient à penser.

 

*

 

          «Pourquoi a-t-il choisi le docteur Lightmann comme pilote ? Il est lui-même chevronné, non?»

          «Ils sont amis, voilà pourquoi !»

 

*

 

         «Est-ce juste une impression ?» Monsieur gardait son sérieux. «N'est-ce pas une blague ?»

          «Non ! Pas sur ce sujet !»

 

*

 

          «Ils doivent être arrivés maintenant. À ça, dès qu'ils mettront pied à terre, ils se rueront vers l'aventure...» Le premier contrôleur regarda les écrans. «C'est bizarre.»

            «Qu'est-ce donc ?»

          «Ces coordonnées semblent inexactes. Ce nombre ne devrait pas être inscrit !»

 

*

 

          «Vérifions.»

        Il y a quelques manomètres à regarder... «Tiens ! C'est quoi, ce chiffre,Valence ?»

          Sur l'écran HQD+ clignotait un nombre insolite.

         «Je me demande où cela nous a mené...» murmura Monsieur, d'un air espiègle.

         «On sort du zinc, alors ?»

 

*

 

         «Où est-ce donc ?»

         «Que faire ?»

         «Contacter l'A380. Repérez son emplacement en terme latitude et longitude. Où est le signal sur le radar ? ...» Le contrôleur se lança dans les diverses tâches adéquates en aboyant les ordres. Puis, pendant que les assistants s'exécutaient, il décrocha son intercom et fit son rapport à son supérieur. Ce dernier mit en place les recherches.

 

*

 

           Les hydroliques soufflèrent langoureusement, les portes firent leur clic d'ouverture et le mécanisme déployèrent les marches. Monsieur avait préparé quelques ustensiles de survie et même un APNHD. Il était aussi enthousiaste qu'un gamin devant un jouet. Je le regardais comme on regarderait le film culte des aventures d'Indiana Jones. Je pensais à ce moment-là que je le suivrai jusqu'au bout du monde.

            L'horizon n'était pas visible : des bâtiments apparemment limitaient la vue. Le ciel avait un aspect rougeâtre avec des nuages lourds, plutôt menaçants.

            «Quelle atmosphère...» Je pronostiquai allègrement pour cacher ma crainte.

            «Peureux...»

 

*

 

            «Pourquoi ces calculs sont-ils faux ? Qui les a fait ?» tonna le supérieur hiérarchique.

 

*

 

            «Les données ont changé en cours de trajectoire, Monsieur, et à cause d'un court-circuit dans le moteur de saut. »

            «Déjà passé en revue au labo?»

            «Oui, on a abordé ce problème par de sérieuses simulations et mis en place une solution : une déviation automatique de chaque erreur de calcul.»

            «Par qui ?»

            «Calculs délicats égal moi. Je dirais même plus : calculs quasi-inconnus dans le monde mathématique !»

             «Oh, c'est ta propre thèse que tu as appliquée, docteur Valence !»

             «Donc il y a eu un double dysfonctionnement. Voire même plus de deux...»

            «Quelle chance !»

           «Mouais... Je suis sceptique.» Je me penchai pour observer ce ciel de mauvaise augure. Devant les éventuels bâtiments se profilaient d'autres ombres, silhouettes filiformes à tailles humaine. Je pensai tout de suite à des aliens... Quoi de plus normal avec cette ambiance...

 

 

          Monsieur sortit de l'A380 de façon prudente. Il descendit lentement les marches. Je regardai vite fait dans le cockpit une dernière fois. Rien n'indiquait une quelconque liaison avec la base. À mon tour, je sortis...

 

*

 

           La lumière s'enclenche à cet instant. Le petit écran rectangulaire montre une série de mots et de chiffres. Les systèmes de l'A380 ont enfin reconnu la situation géographique. 'Position géographique : S24.106001, E137.352179' 'Taux oxygène : 42%' 'Taux azote : 12%' 'Autres éléments : inconnus.' Et enfin, 'Hors système connu. Erreur 404 : références introuvables.' clignote en rythme régulier. Comme un battement de coeur...

 

 

           Ils étaient au-delà du monde connu...



27/09/2010
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