Une nuit au cimetière. (#100 Des mots Une histoire)
Je publie petit à petit tous les textes écrits pour Les mots une histoires.
Image Wikipédia.
Il était une heure après minuit. J’essayais de dormir mais le sommeil ne venait point. Des huhulements parvenaient depuis le cimetière du voisinage : y avait-il beaucoup de hiboux en ce moment ? “A qui pourrais-je me plaindre ?” pensai-je. “Tiens, je vais y jeter un coup d’oeil.” Je n’avais pas peur ni de la nuit ni du cimetière. Je ne pus résister à mon désir de savoir ce qui s’y passait.
Je pris une lampe à gaz puis sortis dans le jardin. L’herbe avait dépassé la taille d’un homme, on (se) croirait (en train de) nager dans une mer verte. Le bruissement de l’herbe s’entendait un cran plus fort dans ces ténèbres. Mon coeur aussi battait plus vite.
Les ifs montaient la garde en silence. Les stèles mortuaires grimaçaient telles de dents blanches sous la lumière de la lampe à gaz. La terre se montrait humide et sans chaleur. Le souffle se transformait en petits nuages. Je commençais à frissonner. Mais que se passait-il ici ?
Les hiboux qui piaillaient à qui mieux mieux s’étaient tous tus. Le bruit de mes pas résonnait plus fort comme ceux de chevaux ferrés. Regardant à ma droite et gauche, sourcils froncés, je cherchais d’un regard intense ce qui se passait dans les ténèbres. Qu’est-ce qu’il y avait donc dans cette promuscuité ? Qui venait ? Ou quoi ?
Des minutes plus tard se forma une ombre basse et ronde. Il me semblait qu’elle n’avait pas de forme humaine. Elle portait une sorte de pelle posée sur son épaule. Etait-ce pour piller une tombe ou quoi ? Quel genre de pécher était-ce ceci ? Un meurtre avait-il eu lieu quelque part près d’ici ?
Je cachai la lumière de ma lampe-tempête pour suivre cette ombre. “Surtout qu’elle ne me voie pas sinon c’est moi qu’elle jettera dans cette tombe.” ressasai-je du bout des lèvres.
La créature rondelette s’arrêta sur un tumulus bien sec. Elle se pencha pour creuser. En deux ou trois minutes, elle fit un trou de la taille d’un homme. Dès qu’un toc se fit entendre, elle sauta dans la tombe creusée et la fouilla. Ma curiosité m’affola. Je m’avançai silencieusement de quelques pas et me cachai derrière un autre arbre plus grand.
La créature y sortit une sorte de coffret en bois vermoulu. Une fois en dehors de la tombe, elle renifla l’air pendant un instant. De cette proximité, la forme de la créature se précisa. Elle avait des membres courts, des mains en boule et de longues griffes. La tête était comme un ballon de rugby, le nez avait une dizaine de centimètres de longueur où était posée une paire de lunettes à fine monture de fer. Cette forme rappelait de beaucoup une taupe. Mais une taupe à lunettes qui marche debout tel un homme n’existe pas dans notre monde !
Ma vision était-elle correcte ? Est-ce bien vrai ce que j’ai vu ? Je doutai de moi maintenant. La peur me rendait-elle désespérant ?
La taupe remplit la tombe aussi vite qu’elle avait creusé. Puis elle jeta sa pelle sur l’épaule, coinça le coffret sous l’aisselle et se mit en route. L’arbre derrière lequel j’étais caché se trouvait loin de la créature, donc elle ne passerait pas près de moi. Devais-je la suivre ? Devais-je savoir où elle allait ? Ma curiosité était restée collée à ce coffret.
La politesse qui m’a été enseigné me scandait de laisser les choses horribles et criminelles à leur cours ou aux gens compétents. Commettre une crime conduit indubitement en prison. Je suis quelqu’un qui ne veut vivre dans l’Empyrée. Mais ma curiosité était restée collée à ce coffret.
Sur cette pulsion-là, je poursuivais la taupe, sans faire beaucoup de bruit et laissant beaucoup de marge entre nous. Mais, bon sang, quel rude chemin était-ce ! Nous passions entre des arbres et des ronces, dans les lits tortueux des torrents et sur des pentes bien raides. J’étais exténué, la taupe trottinait allègrement.
Enfin nous arrivâmes à une grotte de tuf. Si elle y entrait, ma nuit serait finie et je devrais rentrer. Est-ce que je retrouverais le chemin ou devrais-je peut-être passer la nuit dans un lieu sûr ? Par chance, la taupe s’installa devant la grotte et se mit à allumer un feu.
Elle ouvrit la boîte et sortit quelques objets mous d’une dizaine de centimètre. Elle plaça ensuite un grill sur deux pierres puis ces choses pour les y aligner. Peu après, une odeur de chair cuite parvînt jusqu’à moi. La taupe en prit une et croqua dedans avec appétit.
La lumière du feu et la façon dont la taupe tenait m’apprirent ce qu’étaient ces choses.
Ceci dépassait ma limite du tolérable. Hurlant tel un dément, je m’enfuyai. Quelle que soit la direction où mes jambes m’emmenaient : que je tombasse au fond d’un ravin, que je plongeâsse dans la rivière.
L’éducation que j’avais reçu m’avait rapidement informé ce que ces choses étaient. Il y avait des petits doigts. La gueule avala ces petits doigts de bébé. Puis recracha les os des phalanges. Pfiou.
Des mots Une histoires #100 avec les mots suivants :
Désir - pulsion – résister – prison – promuscuité – voisinage – désespérant – politique – correct – politesse – éducation – limite – frissonner – chair – croquer – pécher – jardin – Empyrée.