Langue d'eul marcou au #107 Des mots une histoires
- Il suffit ! Tu lis trop, Merquin, et dans le noir, en plus ! s'écria Mom. Qui que tu as fait du lampadaire ?
Elle entreprit d'ouvrir d'un geste rude les lourds rideaux en velours. La lumière envahit la chambre telle la foudre, éblouissant la page. J'étais sur les genoux, le livre posé sur le voltaire, mes coudes de part et d'autre.
- Comment y parviens-tu ? As-tu des oeils de chat, mon fieu ?
- Ça, c'est le secret, Mom. Toi aussi, t'as des mystères ! Tu la sors d'où, ton expression ?
- De la boîte à dessert, pardi !
- Chouette, t'as fait des biscuits !
Ma mère en est la spécialiste. Et de moi à courir jusqu'à cette fameuse boîte hermétique sur laquelle, franchement, je me jette. Pour un peu, on entendrait la gomme de mes semelles de tong crisser sur le parquet de pin non ciré.
- Miom, miom, comment les fais-tu aussi bien ? crachottai-je entre deux pleines bouchées.
- Mâche donc bien, manant ! Et verses-toi du thé. N'oublies pas mon verre, m'indiqua Mom en s'asseyant sur son tabouret rose chewing-gum. Une faute de goût dans cette cuisine rustique mais aussi la pièce à vivre.
Puis elle, entre deux gorgées de thé versée depuis la canne*, m'expliqua la recette. Je la connaissais par coeur tant elle la contait. C'en était devenu un rituel de dégustation.
- Mélange bien les 50g de beurre d'Isigny fondu avec les 100g de sucre roux. C'est une crème mousseuse que tu dois obtenir. Ajoute donc les 50g de farine et bats en une pâte douce qui doit s'étirer. Un peu de sel pour la libération de la Muse des Gâteaux. Ensuite sont incorporés les 2 blancs d'oeufs que tu auras immanquablement montés en neige. Soulève bien la cuiller pour ne pas écraser la pâte. Egalement, la pâte doit avoir la consistance d'un cuir du mérinos qu'on vient de touser*. Enfin, par petites cuillérées, tu les alignes en rang d'oignons parfaits. La cuisson est de 15 minutes, dit-on, mais toi, attends de bien les voir dorés telle la langue des soyeuses brebis du Gran-Pè LeCoq.
- Moi, je m'attèle à les manger. C'est que je ch'uis pas un becquémiette, moi ! m'exitai-je en me gorillisant un tantinet soit peu.
- Finis donc ! Puis tu iras achever tes corvées du soir. Sans faire ta galeuse, hein.
La pause s'était éteinte après la lâche fuite d'avant. Non, ça n'avait pas l'effet que j'escomptais : abolir les corvées - je n'y couperais pas non plus aujourd'hui.
- Et pas touche à ce sac à puces que tu traînes depuis les champs ! me prévena Mom in extrémis.
- V'oui, Mom.
Subitement, je dégringolai les escaliers, avec peu après le chien sur les talons. Malgré qu'il n'y avait pas de vache à traire, c'était quand même de la longue besogne - parfois plutôt sale de gadoue. Pour que tantôt je puisse soupirer d'aise...
- Ch'est rien ben...
*cruche à cidre
*tondre
Histoire vraie.
Des mots une histoire # 107 avec les mots : secret – mystère – dessert – gomme – mâcher – chewing-gum – s’étirer – libération – tondre – brebis – galeuse – puce – sale
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