A la Lueur du Lampadaire !

Projet ESC #5 : L'abri

les textes des autres participants

les règles et aussi le making-off de mon texte 

L'abri 

 

/!\ /!\ Scène mature, type yaoi, certes pas très détaillée, mais pouvant choquer. /!\ /!\

 

 

Il se retourna vivement. S'attendait-il à me surprendre en train de me récurer le nez ? Parce que c'était le cas ! Avec un mouchoir en papier ; je ne suis pas si écœurant que ça.

 

- Vous ne prenez pas de notes, monsieur Lightmann ?

- No-on...

- En même temps, ce n'est pas facile avec un doigt dans le nez !

 

Il ricana. Ce rictus me mit hors de moi. Non mais, qui était-il donc pour se permettre de s'en prendre à moi, de me ridiculiser et de m'agresser ! Et puis, moi qui me fichais royalement de l'opinion public, j'eus une vague de honte m'envahir alors que la colère m'habitait encore. C'est fou, ça ! Mais que m'arrivait-il ? Et lui, pourquoi il ne ciblait qu'uniquement ma personne ?

 

- Savez-vous au moins quel est le topic d'aujourd'hui ?

- Si vous me le dites, je le saurai...

 

Pas très astucieux de ma part mais j'avais envie de le provoquer : jusqu'où ira-t-il ?

 

- Eh bien, vous me préparerez le compte-rendu de la réunion, monsieur Lightmann. Et contrairement à votre nom, vous n'êtes pas une lumière !

 

Puis il se retourna et repris son "topic". Me laissant fulminant. Petite frappe. J'avais en horreur son franglais et ses bons mots. Peut-être est-ce la raison pour laquelle je ne l'écoutais pas en réunion ? Dès que l'occasion me passera à portée de main, je le ridiculiserai à son tour.

 

Ma voisine de table me tapota le bras et me tendit un fin classeur. Elle n'était pas souriante ; non, son regard me fuyait. J'ouvris le classeur qui laissa apparaitre le titre et la date de la réunion. Et un bout de petit mot.

"C'est dommage que vous soyez si imbu de vous-même, Valence ! Recopiez ceci pour que chacun d'entre nous puisse travailler dans de bonnes conditions !"

 

Je reniflai. Et rendis d'un geste brusque le classeur. Sans la regarder. Mais quel droit ces confrères avaient-ils de me juger de la sorte ? Pauvres idiots.

 

*

 

La nuit venait de tomber. Le barman sortit de sa boutique et observa un instant la rue. Elle n'était pas encore bruyante des voitures aux conducteurs pressés ni des fêtards en quête de bruit. Le barman épousseta son gilet noir et, hochant la tête, jeta un œil à l'enseigne qui brillait faiblement. Il faudrait plus de luminosité aux néons quand même.

 

 

Un manteau de laine grise jeté avec nonchalence sur les épaules, j'avançais au hasard. Où aller pour me calmer de cet affront ? L'air frais semblait me faire du bien ; je réfléchis à une revanche, tout de suite, là, maintenant.

 

 

L'entreprise où je travallais était experte en bionanotechnologie et prodiguait ses bons soins à tous les hopitaux ayant les moyens de renflouer de bons bénéfices. Une situation très concevable, à mon avis, car la technologie de pointe demandait d'importants capitaux. A l'opposé de ce gus qui me malmenait, une situation contraire était inimaginable. Féru de bons sentiments, il se considérait comme le bon samaritain : l'accès à la médecine se devait être réparti de façon égale pour les citoyens. C'était effectivement le cas ; pour la médecine traditionnelle uniquement ; elle sauvait encore beaucoup de vie et elle avait déjà éradiqué des maladies infectieuses, telle la tuberculose pulmonaire, qui causaient de la résistance médicamenteuse. Il n'y avait plus ces cinq millions de nouveaux cas malades ni de multi-résistance aux antibiotiques ! (1) Que voulait-il de plus ? Quel idiot... C'était bien un médecin ! Croyez-vous que l'on peut encore être idéaliste dans notre mode de vie - en dehors des biomilitants idéologiques, je veux dire ? Pourtant, je me rendis compte que j'appréciais sa considération d'un monde plus juste à l'égard de tous. C'était insensé mais c'était un défi extraordinaire. Car, moi et l'idéalisme faisaient plusieurs et qui ne s'entendaient de surcroît ! Je détenais assez de rage pour découper en confetti toutes ces réactions niaises ! Non, aujourd'hui, c'était la gloire dans le travail qui primait d'abord, et l'argent ensuite. Et la nanotechnologie, médicale ou militaire, était un défi à mon ambition ! Mes compétences allaient me conduire à la meilleure firme de la planète, en lutte à la plus insensée des idées : construire le plus petit appareil qui amènerait en quelques secondes d'un lieu A à un lieu B. Alors, comment me suis-je retrouvé dans le service de recherches biotechniques d'un hopital, moi ? Et ce gus, ne sachant rien des sciences électroniques, avait convaincu la direction de m'admettre dans son équipe de médecins-chercheurs ! Quel est donc le lien entre ces deux choses ? Et ce gus voulait, en plus, se mettre à la présidence de la plus haute instance médicale mondiale pour mener à bien son idée de médecine plus juste ! En utilisant les études aérospatiales ? Cela faisait plusieurs mois que mon transfert avait eu lieu mais je ne m'y plaisais guère dans ce cercle-là ! Il me fallait un moyen de sortir de ce piège ! Et un verre... Sinon ce sera  une étiquette à porter toute sa vie...

 

La lueur d'une enseigne clignota, attirant mon regard. Un pub. Enfin une bonne chose dans cette journée de malchance. Un remontant ne me serait pas superflu. Et de quoi grignoter un bout.

 

 

Je poussai la porte vitrée que le néon clignotant rendait sale. Je ne prêtais pas d'attention au reste. Je débouchai dans une salle de taille humaine, quoique plutôt vide à cette heure tôt de la soirée : quelques clients se restauraient avant l'assaut des hères fanas de foot. Malgré les fanions et drapeaux qui, envahissant le plafond, étouffaient l'air, les boiseries du comptoir, de la chaude couleur de son carmin, les tables aux lignes incurvées sagement ordonnées, les tabourets de bar bien rangés et les menus en papier vert disposés debout m'apportaient enfin la paix. Sans jeter un œil aux clients déjà sur place, je m'installai au fond du pub d'où j'embrassais l'ensemble de la pièce.

 

Un whiskey et du jambon de poulet aux olives dans l'estomac, je me permis enfin de dévisager les gens présents. Ces derniers ne semblaient pas être très bruyants bien qu'un pub était une place conviviale où les chants à tue-tête avaient encore leurs quartiers, chose qui ne changera guère... Un timbre de voix, que j'avais remarqué à mon entrée, me parut familière à l'oreille bien que je ne voulais pas l'admettre. Je ne l'écoutais qu'à peine pendant les réunions, et pourtant j'en aimais le son. Je fixai mon regard sur l'homme en question. Assis au comptoir, il riait d'un grand sourire que je n'avais jamais vu...

 

No-on, ne me dites pas que c'est Monsieur Le-grand-médecin ? Dans un pub ? Lui qui est reconnu comme un gentilhomme aux bonnes mœurs ? Et je fis ce que je ne faisais jamais : j'écoutai clandestinement la conversation avec le tenancier.

 

Ce dernier lui donnait du "monsieur" assez souvent. Quel est donc son statut social, au gentilhomme ? Il me sembla que la discussion tournait autour d'opérations cliniques que Monsieur avait effectué le semestre dernier. Une double greffe de bras et de jambes. Une greffe de visage. Un cœur artificiel autonome pour dix ans. (2) Des succès en son nom. Sa gloire. Parlait-il vraiment de ses réussites ? Se vantait-il donc ? Lui qui se laissait considérer quelque peu modeste... Je pouffai dans les mains. Mon tortionnaire se faisait mousser auprès d'un débiteur d'alcool comme un ivrogne qui blablaterait sur ses problèmes sans fin. L'image de gentilhomme en prit pour son grade ! Et les clichés continuèrent à déferler sur cet idiot de médecin. Au moment où il se saisit de la serviette de table et qu'il se mit à dessiner des cercles, me semblaient-il, et en parlant avec frénésie expliquant un je-ne-sais-quoi que seul le barman paraissait en comprendre le contenu. Quel était donc le QI de celui-là ? Des bribes de la conversation parvenaient jusqu'à moi. Le péricarde à la face intérieure d'une valvule évitait les rejets de greffe et trop de médicaments anticoagulants... le microprocesseur analysait le rythme cardiaque et s'y adaptait...  des choses extraordinaires... oui... c'était le cas...

 

*

 

Le gentilhomme devint ma ligne de mire. Je l'avais déjà vu être passionné, depuis près d'un an que l'on bossait dans le même service de chirurgie orthopédique. Il se faisait transférer dans d'autres services de la clinique, telle la cardiologie, pour un laps de temps. Mais il revenait toujours. Pourquoi ? Et ce soir, cette passion qui le dévorait était couplée à un bonheur sans fin, semblait-il. Le sourire  dessinait un homme heureux.

 

*

 

J'eus l'envie de sourire comme lui. Irrépressivement.

 

*

 

Et puis il me vit. Son grand sourire s'effaça alors comme un nuage de lait dans un café corsé. Ses yeux couleur d'azur translucide se pincèrent et son regard se fit très froid.

 

*

 

Mon cœur se serra tout autant...

 

*

 

Il se retourna vers le barman et, se penchant vers lui, lui souffla quelques mots à l'oreille. Il se leva et vint vers moi.

 

*

 

Mon cœur bondit...

 

 

*

 

Il déposa un ramequin sur ma table. Il assena d'une voix calme un "Goûtez de ce chutney avec votre sandwich, monsieur Lightmann, et vous aurez une idée des bonnes choses que vous laissez passer !" et s'assit en face de moi. Il continua son speech, tout en piochant dans le ramequin avec une cuillère d'argent, sans se soucier de ma face ahurie : "Divers fruits sucrés sont associés à un légume, du poivron Charleston, je crois bien, rehaussé de gingembre vous font visiter un autre univers. Que vous ne connaissez surement pas, monsieur Lightmann, n'est-ce pas ? What a poor boy..." 

 

Je me permis d'aller jusqu'à un ricanement. "Que cherchez-vous, Monsieur ?" sifflai-je excédé. Ironique. Je cherchai à le blesser comme je l'étais à l'instant. Sans comprendre ce qui m'arrivait. "Que ne trouvez-vous pas, Valence ?" Compatissant. Il trouva que j'étais un être blessé qu'il devait soigner. Sans savoir comment. Il se laissa retomber contre le dossier de sa chaise.

 

- Cet endroit appartenait au père d'un ami proche. Nous y avons grandi. Et appris à parler. Vous savez, ce mélange linguistique. Je ne me reconnais jamais si je n'en use que d'une seule. Un peu comme vous, my friend. Vous jouez de vos grands airs snobs mais vous ne savez pas comment vous comporter au contact de choses que vous ne voulez pas rencontrer...

 

Je n'avais rien compris. Il n'en avait cure. Il se leva. Se penchant vers moi, il souleva ma tête par le menton. Puis les yeux rivés dans les miens, ses doigts fins sur ma peau, il me fit un si extraordinaire sourire que je fixai d'un œil totalement conquis. Il exhiba toutes ses dents, ses lèvres d'un rose poudré et des petites rides autour des yeux et un regard franc. Uppercut.

 

*

 

De quel stratagème fallait-il convenir pour l'empêcher de partir ?

 

*

 

Mais il s'éloigna. Comme la fumée au vent.

 

*

 

Mon cœur cognait. Ma raison cherchait un moyen de l'immobiliser dans son élan.  Confuse.

 

*

 

''Que voulez que je fasse de votre amphigouri, Monsieur ?'' lançai-je au hasard, d'une voix bourrue. Je ne souhaitais pas ressentir tous ces sentiments contradictoires qui m'emplissaient.

 

- Amphi-quoi ?

- Charabia. Vous êtes trop condescendant, Monsieur, sous vos airs de gentilhomme !

- Gentilhomme ?

- Vous êtes porté par votre idéalisme qui vous incite à considérer les gens comme des êtres auxquels il manquerait quelque chose...

 

Que tentai-je donc ? Cependant cela eut le succès escompté : Monsieur s'arrêta net, près du comptoir. Il s'y appuya en baissant la tête. Il commença d'abord à murmurer puis articula distinctement.

 

- Je... C'est bien vrai... Humanisez-moi, Valence, et j'arrêterai de vous dragoniser... A vrai dire, mon idéal se corrompt peu à peu... et je ne cherche pas à le garder en devant écraser...

 

Brusquement, il fit une pirouette, se tournant vers moi.

 

- Nous avons besoin de nous ressourcer quelque part ; moi, c'est ici... Et vous, Valence, est-ce là ? fit-il en s'effleurant la tempe. Mais en avez-vous un ? ... Et il nous manque toujours quelques éléments... pour être parfait ! souffla-t-il avant de s'éloigner pour de bon.

 

Je ne savais pas comment réagir. Je n'étais pas sûr d'avoir capté tout ce qu'il avait dit. Un mix de sentiments étranger à mon style de vie. Tout était tranché avec moi. Je n'avais besoin de personne pour me situer quelque part.

 

- Oh, et puis, zut !!

 

Je me levai à mon tour. En trois pas, je fus au côté de Monsieur puis, sans lui donner la chance de se rendre compte, j'agrippai le visage et l'embrassai. Plus fougueusement que je n'aurais voulu.

 

*

 

I get you !

 

*

 

Néanmoins je me sentis satisfait. Je possèdais encore ce désir de le provoquer, de le mener dans des retranchements contraires à sa façon de penser qu'il n'aurait soupçonné aller un jour.

 

*

 

Un an que je te poursuivais...

 

*

 

Pourtant, la réponse de Monsieur me surprit. Il m'attira à lui puis m'entraina dehors. Je n'eus pas le temps de prendre mon manteau. Il jeta un dernier regard au barman ; un clin d'œil ? Une connivence ?

 

Il me traina dans la rue ; j'avais l'impression qu'il ne savait pas de quel côté se diriger. Ni ne voyait la façade à colombages de l'immeuble ni n'entendait le son des pas dans la cage d'escalier. Il bouscula les maquettes d'avions décorant l'entrée et n'alluma pas le plafonnier.  Il m'emmena dans le noir dans une pièce baignée d'une lumière fantômatique. S'y dardaient ses rayons. Les murs brillaient sourdement. Des ombres immobiles couraient sur chaque surface. Cette chambre était habitée...

 

*

 

I'm here.

 

*

 

Il déboutonna le col de ma chemise d'une main fébrile. Il se lova dans mon cou et mordilla la peau. Et, je n'avais d'autres maux qu'une chaleur confuse dans la tête. Quel brouillamini. Il me semblait d'entendre son nom. En cadence.

 

Et, tandis que ses lèvres couraient sur la gorge, je levai la tête et nous vis tous deux, debout, débraillés, devant la psychée, dans un doux rayon que renvoyait le miroir jusqu'à ce que nous bascullions en arrière, au creux d'un large lit à vaste ciel vespéral. 

Et malmenée dans la bousculade, la psychée, sur son axe, s'en retourna vivement. 

 

 

Notes:

  

1 Ce n'est pas encore le cas en 2012.

2 Evènements médicaux réels en 2012.



01/04/2012
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