A la Lueur du Lampadaire !

Ça devrait être interdit de vivre à Istanbul...

Les 9èmes Plumes d'Asphodèle où trouver les autres écrivain(e)s avec ces mots donne ce texte-là, en retard mais quand même là !

Libertésensdécouverterégimedéraisonpantoishasardeuxobligation

privébarrièredemeurertabouaventure, inceste (FACULTATIF), 

rougehontehallucinanthangar.

 

 https://static.blog4ever.com/2010/02/386399/artimage_386399_3654892_201109230033952.jpglampadaire à la gare de Sirkeci, rive européenne, Istanbul.

 

Après plusieurs mois dans le calme de la campagne - quelle liberté, ce pays-là ; on tente une virée à Istanbul la Sublime Porte. A trois, par bus, sans plan ni but...

 

Istanbul la Tentaculaire m'a englouti !  Mais c'est de la faute de Mom. Elles ne font pas bon ménage, ces deux-là ! Elles sont exigeantes et implacables ; l'une est lente et l'autre, trépidente ; et moi, entre deux feux ; ma Gran-Sista, taciturne. Quelle vie à double sens unique ! Impossible, vous dites ? Nous avions eu de longues discussions sur le comment y aller, et qu'y faire, dans quel ordre, le budjet, les choses à emporter, et tutti quanti, si longues, si longues, que le Gran-Pè Lecoq, not'voisin, a eu le temps de prendre son cheval et de passer à Üsküdar (1), et même plus loin ! Hop, à matin-là, le chervet moué (2) - j'entends encore l'à dia et l'à hue, cinq heures, nous sortons du village à la valdrague (3) à bord de la camionette du voisin - non, elle n'est pas takoz (4), juste sale de boue et de quelques traces de mazout : mais qu'est-ce qu'il a donc fabriqué avec ? Et hop, dans le bus intercitées, celui qui vient en prem's, sans connaitre le prix du siège : et si ça me coûte les yeux de la tête ? Le voyage ne fut pas de tout repos : la nausée fut au rendez-vous et j'ai passé tout le trajet à respirer par la bouche - comme une femme grosse sur le point d'enfanter... Discret, donc !

 

Nous fûmes déposés au milieu de batiments en constructions, dans des rues en travaux, bardées de planches taillées grossièrement, à la station de bus flambant neuve, posée là comme un ovni au centre d'un champs de blé. La découverte de la ville commençait bien, dites donc ! Tout près, la pratique des stambouliotes se résume à l'utilisation des minibus dans le centre-ville pour contrer le régime des rues bondées de véhicules, des piétons qui traversent les voies rapides comme une rue cul-de-sac non mais quelle déraison, des travaux omniprésents toujours à construire quelque chose ce qui me laisse  moi toujours pantois. Et ne pas laisser la bobine hasardeuse des voyageurs à la franquette envahir not'pauv'tête : il faut dire au chauffeur où on va exactement sous peine de rester bloqué dans le minibus à faire des ronds dans l'iâo (5) stambouliote - mais je crois que c'est valable itou à les esplanadelles, à l'air libre avec les oisiâos à dos argentés (6) qui habitent toutes les côtes pareilles aux normandes , à l'iâo du Boğaz (7) avec les pêcheurs alignés du pont de Galata. 

 

Et quand tu a fini avec tous ces engins à moteurs, qu'enfin tu descends la rue flânante avec tes gambettes, tu te dis que ça valait bien de venir, que ça vaut la même peine que la balade dans les bois, transportant le même sac de pique-nique lourd du thermos de thé et du pain campagnard. Tu finis par t'asseoir sur un banc public, ou l'herbe d'un square squattant l'entre-deux de platanes ancestraux pour manger sous le regard ahuri des locaux avec lesquels tu veux partager, c'est obligation heureuse, ta tardive collation rurale qui égale le pain-poisson du quai de Galata. Et puis la visite devient bulle dans le temps - enveloppé du vent : pas de cru (8) ici, mais un dur lodos (9) qui refroidit la transpiration que le soleil nous a refourgué à fène forche (10). Les jardins aux roses hautes et odorantes du palais Dolmabahçe se sont livrés, à l'oeil, en privé depuis la blanche barrière et la superbe porte. Pas une seule herbe folle parmi le gravier des chemins orthogonaux : on dirait un jardin à la Lenôtre sans les haies. Les mosquées Dolmabahçe et Eminönü où Mom a accouru enthousiaste à chaque ezan (11) ont délivré un havre de paix et douceur qui ne sait pas où demeurer tranquillement : il colle au vêtement et au pas, il est activement recherché, il est tabou d'en faire son sien esclave. Le lustre de cristal qui brille depuis la coupole jette des confettis de lumières colorées sur les mouelleux tapis : c'est une véritable aventure couronée d'une indéchiffrable extase que de les dénicher au creux des vagues de laine. A un jet de pierre de là, le bazar égyptien délivre son fumet épicé, safrané dans une chaude aura de lumière cuivrée. Des clins d'oeil volent depuis chaque objet ouvragé d'arabesques - et peu importe si c'est industriel. Gran-Sista, bouche close, yeux ronds, suit chaque jet de couleurs, chaque mouvement, chaque palpitation, chaque fissure dans le sol et les murs, le chervet moué de mots innochents et d'expressions idiomatiques, incapable de se défaire de ces voix inc'modes qui la hantent.

 

Et parmi le brouhaha indéfinissable (12) de la foule et des bruits fantômatiques de chaines, il nous faut nous lancer vers la prochaine étape, à bord d'un bus municipal vert-de-gris ou du métro nouveau rouge ottoman, sans en connaitre le parcours exact, à mander à chaque fois à chacun des citoyens que l'on croise, telle une quête au Graal oriental. Mom, "tu ne va pas me lâcher en plan en plein Istanbul" débite à chaque tournant vers l'inconnu et l'ignorance. Et le grand complexe de cette mégalope, mélée à la vigueur maternelle, fait fureur dans mon crâne, bouillir le sang et gronder la voix, on court sur les pavés, on prend au vol les bus avec leur sigle l'iett, soit "idiot [h]èle ton taxi" (13), on est banc de pigeon parmi ces volatiles. Rouge de honte de mon attitude peu ou prou civilisée, nous fendons les flots du Boğaz pour un retour depuis le port de Harem enfin au calme de la campagne.

 

Je boude. Je raconte, et décris ; je ne présente pas, je montre : c'est hallucinant tout ce qu'on peut penser sans se rendre compte du bagage trop lourd -j'ai rien acheté, j'ai rien pris : juste des images plein la tête, des souvenirs à aligner sur un clavier puis à enfin ranger mon bazar à la guilfoute (14) au hangar. Ah, il fait jour à Üsküdar ! (15)

 

 

Notes:

prendre son cheval et passer au-delà de Scudari / Üsküdar est un dicton stambouliote du 18e siècle pour dire qu'il est trop tard de faire une quelconque affaire car la décision a été trop longue à être prise ;

2 le cerveau troublé *;

3 en désordre *;

4 tacot (expression stambouliote) ;

5 l'eau *;

6 goéland *; les normands sont à dos bleuté donc dit goéland océanique; les stambouliotes sont à dos gris donc dit goéland maritime ou commun. 

7 Bosphore, mot signifiant Gorge ;

8 vent froid et vif *; 

9 vent chaud et vif, de printemps, mot d'origine grecque ;

10 à force de s'épuiser *;

11 appel à la prière ;

12 qui n'en finit pas *;

13 iett = istanbul elektrik ve toplu taşıtları soit transports en commun et tranports électriques d'Istanbul ; "idiot, [h]èle ton taxi" était une vanne d'un chauffeur de bus municipal pour commenter la complexité du réseau de bus de la ville ;

14 sans précaution *;

15 va dormir maintenant, il est trop tard pour faire quoique ce soit (expression stambouliote.)

 * termes normands.

  

Histoire vraie, peu vive, je n'ai plus le pied marin... un vrai parcours de combatant...

 

  



18/07/2013
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