Le 210eme Jour : innoubliable ascension !
Sôseki Le 210ème jour
J'ai choisi au titre uniquement. La question que je me suis posé à ce moment-là est : "Il y a quoi, le 210ème jour ?" Juste avant de le lire, quelques jours plus tard, j'ai fait une analogie avec mes propres jours de... challenges que je compte sans cesse pour arriver à la fin.
Le livre commence directement avec du dialogue : on ne sait pas où ni qui, c'est comme au théatre... celui que vous allez voir, hein, pas celui que vous lisez : moi, je ne sais jamais où se déroule la scène. Elle ne dure pas longtemps cette ignorance, sauf de s'empêtrer un peu.
Il y a Kei et Roku. Le 1er est fils du marchand de tofu (arg, c'est pas bon, les tofus) mais on ne sait pas ce qu'il fait dans la vie. Le 2nd est sinon d'une classe sociale un peu plus haute mais pas noble ni riche. Le 1er est fort et musclé avec le surpoids de l'âge. Le 2nd est gringalet et geignard. Le 1er est enthousiaste et spontané. Le 2nd est beau parleur. Je répète le début des phrases car... ça a un but rhétorique. Mais si, attendez... (1)
Ils viennent de Tokyo; ils sont au canton d'Aso. Ils sont là pour grimper le volcan qui est toujours en activité (Soseki date du début du 20ème siècles.) Ah, nous voici, ils sont installés dans l'auberge d'un petit village (c'est dit par Kei mais j'avais pas capté; d'ailleurs, il me semble qu'il y a vécu (mais j'y reviendrais plus tard.)(2)) Ils se la coulent douce : conversent, prennent un bain, déjeunent ; puis ils vont à la montagne : juste au pied, voir les projections de lave ; le vrai voyage est pour le surlendemain. Je doute qu'ils y ailllent, d'ailleurs. Vous l'aurez compris, l'histoire commence le 209ème jour au soir, où le projet de grimper le volcan prend forme pour le 210ème jour. Or ce jour-là, ils restent encore en mode préparatif : ils planifient, scrutent le volcan, tergiversent... Le 211ème jour semble être le bon ; du moins, c'est la fin des pages et... on peut imaginer... ce qu'on veut.
(1) Que font-ils ? Ils discutent de choses banales et quotidiennes. Sauf que ça prend un air grave, ça devient "des questions existentielles." De quoi se prendre la tête des jours durant. Les répliques de chacun tournent et se retournent en un cercle sans fin. Et je te répète les fins de phrases, les évidences, et je propose une chose pour la réfuter puis la reproposer. Franchement, c'était comique et lassant à la fois. Ça me rappelle ces films américains où le gus a une grande gueule et ne cesse de parler tout au long. Ou bien, plus proche de moi, une discussion familliale qui coule à batons rompus, malgré un vrai sujet débattu. Oui, c'est ça, ce dialogue me rappelle les débats - familliaux surtout. Un extrait :
"Dans la pièce voisine, deux personnes bavardent avec vivacité.
- C'est alors que l'adversaire a laissé échapper le sabre de bambou et là-dessus il a été atteint à l'avant-bras.
- Ah oui, il a été finalement touché à l'avant-bras ?
- Oui, il a été touché à l'avant-bras. L'autre l'a atteint à l'avant-bras. Mais, tu vois, comme il a laissé échapper son sabre, il ne pouvait plus rien faire.
- Ah oui. Il a laissé échapper son sabre ?
- Mais le sabre, il l'avait déjà laissé échapper.
- S'il l'a laissé échapper et qu'il a été touché à l'avant-bras, c'est très ennuyeux.
- Evidement que c'est ennuyeux. Puisqu'il s'est fait prendre son sabre et toucher son bras.
La conversation des deux hommes pourrait continuer longtemps comme ça, elle ne cesse d'en revenir au sabre et à l'avant-bras. Kei et Roku, assis l'un en face de l'autre, échangent un regard et un sourire."
Alors ? Moi, j'ai trouvé ça tordant. Comme un sketch d'un comique professionnel. Je me demande quel ton cela donnerait dit en japonais... Ça doit être encore plus tordant, vu la rythmique de la langue, plus il faut comprendre un brin. Plus tard, Kei et Roku en plaisantent en les imitant. Mais leur propre conversation tourne en rond de la même manière...
Ce qui donne le ton de la suite du récit. En clair et net.
(2) Kei s'enthousiasme pour le travail du maréchal-ferrant où il décrit les outils ; ça fait parti de sa jeunesse et il décrit son village natal. Ce dernier est peut-être ressemblant de ce village au pied du volcan Aso, ou non. Pour ma part, il m'a semblé que c'était le même - d'abord c'est moi qui avait mal compris puis la vrai confusion s'installe à cause de la façon de répondre de Kei. Un extrait :
"- Il y avait un marchand de tofu en plein milieu du quartier où j'habitais dans mon enfance.
- Un marchand de tofu. et alors ?
- Eh bien, ce marchand de tofu, après le coin du magasin, si on montait cent mètres plus haut, on arrivait au temple de Kankei.
- Au temple de Kankei ?"
Mais quelle idée de mélanger le temple de Kankei avec le temple d'Aso !
Mais si vous avez lu ça d'abord :
"- Au fait, où se trouvait ta maison ?
- Eh bien, à un endroit d'où je pouvais entendre ces bruits.
- C'est-à-dire plus précisément ?
- Tout à côté.
- En face du marchand de tofu ou à côté de lui ?
- Enfin, au premier étage.
- De quoi ?
- Du magasin de tofu."
Alors ça ne se prête pas à confusion ? Quand on (vous) pose une question, la réponse est vraie ou fausse. Et que pensez-vous de celle d'au-dessus?
Et, sans rire, j'ai super apprécié de retranscrire ces quelques lignes. A la main.
En cours de lecture, je tombe sur un personnage connu : Toyotomi Hideyoshi. Je le connais, je le connais... Tilt ! Le sabre des Takeda ! Toyotomi est un des défaits de la maison Takeda pendant les guerres féodales de pouvoir, racontées dans ce livre par Inoue. Ainsi que l'organisateur de tournoi de go qui détermina le plus fort de tous les joueurs : Honinbo Sansa, lu dans le manga Hikaru No Go. Hé oui, les lectures passées servent aux nouvelles ! Par 2 fois ! (Que je suis savant... ^,^)
Au final, j'ai apprécié ce petit livre : des passages lyriques (débittés par Kei) détaillant la beauté de la nature ; comique et burlesque ; avec de scènes [de ménage] qui rappellent la vie en famille [fraternelle] ; je le jouerai bien dans une salle de théâtre (ou je verrai bien) : ce serait bien plaisant car c'est moins casse-pied que Ubu Roi ou En attendant Godot - on sent une différence de dimension, comme si ces 2 dernières pièces étaient faites pour le genre du théâtre burlesque, comme si elles sont faites pour le "trop absurde."
Ce sont la personnalité des héros qui est accrocheur ! Si la facétie de Kei n'était pas là face aux jérémiades de Roku, je pense que j'aurais stoppé la lecture ou, s'il était aussi long que 210 jours, j'aurais survolé l'histoire...
Bon, ben, encore un auteur de plus dans ma bibliothèque japonnaise... qui se transforme en volcan !