Le fleuve jaune.
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Le fleuve jaune sourit du fond de la vallée, le dos au soleil tropical, à quelques mois de la mousson.
Il ne manque pas d'animation autour de lui. Ces va-et-vients de barques longues comme un jour sans pain l'amuse au plus haut point. Voyez, sauriez-vous transporter des poissons tout en les gardant vivant et frais sur plus de six heures de navigations dans un véhicule où l'eau ne tient pas naturellement ?
Vous avez trouvé la solution ? Non ? Non, laissez tomber les aquariums : ce sont des dispositifs trop complexes et lourds pour ces barques et le pays du fleuve jaune. Alors ? Toujours pas ?
Lisez donc la suite de l'aventure - ici même...
Sanho et Saha et Sanye* sont frères et soeurs* et habitent le fleuve. Leur havre de paix est Noi Kong* qui leur apporte le gîte et le couvert contre de beaux efforts de travail... Et ils ne manquent pas d'ardeur.
Leur vie consiste à transporter de la marchandise d'un port fluvial à l'autre, de jour quand c'est proche, de nuit si c'est loin, parfois oscillant entre la frontière thai et celle lao. Ce sont souvent des pastèques, petites boules rayées de vert tendre, qu'eux-même rafolent, allant en délester une ou deux pour leur plus grand plaisir. Les payent-ils ? Je n'ose pas leur poser cette question : ils ne me semblent pas être des voleurs pourtant.
Des vogueurs, ça oui, quitte à rester des semaines entières sur le pont, dormant à la belle étoile si l'envie leur prend, le plus souvent sous l'auvent de fortune à l'arrière du Noi Kong. Ils mangent du poisson cuit sur des braises ou à l'étouffée, des fruits achetés au marché flottant que chaque port possède et où ils vendent leur propre marchandise ou des plats à emporter fait maison.
Ce qui leur plait le plus est justement de transporter ces fameux poissons pêchés par centaine au filet dans le cours du fleuve. Le Noi Kong s'amarre à un ponton où un ballet bien synchrone s'organise alors. Des grands bacs bleu portés sur le milieu d'un solide bâton par deux porteurs sont apportés puis le contenu déversé dans... la cale du Noi Kong pleine d'eau du fleuve. Ah, ça chatouille !
Et puis il faut remonter le fleuve jusqu'à destination, voyage de nuit car c'est loin, alors on s'échange les tours de pilotage, moi toujours avec l'un des trois de la fatrie puisque je n'y connais pas trop. Je pense qu'ils ne peuvent se résoudre à laisser Noi Kong seul avec un étranger...
Arrivés, Sanye et Saha plongent dans la cale afin d'aller ramasser les filets déposés au fond, les tirant par leurs bouées. Les poissons sont pêchés une seconde fois ! Ils passent dans des mêmes bacs, accrochés à l'arrière de mobylettes qui les emmènent vers l'usine pour y être pesés puis accommodés.
Une fois leur paye en main, la fatrie se tourne vers le transport de sacs de riz pour l'étape suivante. Passeront-ils la frontière sans encombre, malgré la facilité d'accès des travailleurs du fleuve ? On n'en est jamais sûr d'avance, et on ne fait que prier jusqu'à ce moment-là.
Ainsi allait leur vie. Tant que la vie auprès d'autres membres de famille, les conflits nuisibles et les aléas du fleuve ne les sépareraient pas, leur vie irait ainsi. Moi, je ne fais que passer par là. Les reverrai-je un jour, ces trois-là, Sanho, Saha et Sanye ? Rien n'est moins sûr. Puis chacun aura sa barque, grande ou petite, mae ou noi,* pour voguer sur tous les bras du fleuve et peut-être, un jour, aller jusqu'au-delà des chutes de Khone* pour voir le Fleuve des Neuf Dragons*...
* ce sont des prénoms réels mais n'appartenant pas forcément à la bonne région géographique - je les choisis pour leur belle sonorité.
* je ne sais pas qui est/sont la/les soeur/s et qui est/sont le/les frère/s. C'est drôle, non ?
* ce qui veut dire petit crocodile en thai ou petit kong, en référence au Mékong.
* en thai.
* chutes impraticables après la région de Si Phan Don où vivent les dauphins d'eau douce.
* le delta du fleuve en neuf branches.