Traditionnel O-bon à danser dans la nuit
Danceur de l'O-bon de Terry Chatkupt avec les gestes en images.
Tokyo, 2013.
Le dojo s'est vidé comme les feuilles poussés par le vent de l'automne. Les gamins, de 4 à 8 ans, qui apprennent le karaté ont laissé la place aux adolescents et au cours de danses traditionnelles.
Aujourd'hui est la dernière séance d'entrainement. Dans quelques heures ils vont s'en aller sur la place puis dans les rues étroites de la ville conter leur danse. Alors les jeunes filles et garçons s'habillent de leurs kimonos avec un soin particulier. Les grand-mères de quelques-uns sont venues les aider.
Les kimonos des filles sont dans une teinte blanc crème très douce, avec un ou deux pétales géantes de fleurs de cerisiers latéralement sur la manche et la hanche. Un obi noir profond fermé par un noeud plat parfait d'une cordelette de soie rouge vif dont les bouts sont repliés complète l'ensemble.
La tenue des garçons porte la couleur bleu de la nuit où les pétales de cerisiers automnals tombent et s'entassent sur leur pan de kimono. Leur fin obi de soie est blond comme une fleur fanée.
Le maitre claque les deux morceaux de bois de pin verni qu'il tient gracieusement l'un contre l'autre – clap. Il n'y a pas de résonnance. C'est le début de la séance – ajime.
Les gestes des bras et mains et les pas de danse sont minutieusement exécutés, suivi du fredonnement grinçant du ehru, enveloppé du frou-frou textile. Tout la danse est hypnotique. On entend le frottement des getas de bois sur les tatamis. On écoute la respiration calme et régulière des danseurs.
Il fait nuit. Et il a plu. Les lanternes carrées aux fenêtres de papier manuscrit s'allument tout le long de la route qui mène à la ville. Je m'amuse à les déchiffrer lors de ma marche, ces différents mots d'encre noire – ils disent quelque chose que je ne parviens pas, hélas, à comprendre.
La place principale et certaines rues ont été tapissées de tatamis de bambou – comme au dojo. Placés en forme géométrique, ils forment un ingénieux plateau virtuel tout en angle de façon à permettre à tous les spectateurs de voir tous les danseurs et leur pas de danse.
La troupe de danse est prête ; le maitre ajuste son instrument. Mais la foule fait défaut ! Personne n'est installé aux abords des tatamis ! Les adolescents s'en inquiètent et parlent entre eux.
«Mais il n'y a personne !
- Où sont-ils donc ?
- Nous sommes-nous tompés de jour ?»
Le maitre claque de ses carrés de bois.
«Maitre ?
- On commence la danse, maitre ?
- Mais la rue est vide !
- Etes-vous venus pour danser ou voir des spectateurs ? Demande le maitre d'une voix calibrée au silence de la rue vide comme s'il ne voulait rien briser.»
Néanmoins, les jeunes gens restent interdits un petit temps ; ils prennent ensuite leur place. Chacun se remémore conscensieusement sa posture et la chorégraphie. Quelques-uns sont encore étonnés de la requête du maitre ; certains haussent des épaules, obéissant juste aux directives ; d'autres sourient un instant. Et tous dansent dès que la musique s'élève dans les airs.
Danser dans la nuit, à la lueur tremblotante des bougies, à l'air libre, à quelques pas des ténèbres que l'on sent sans pouvoir les toucher, avec des notes de gouttes d'eau s'égrennant quelque part, proie facile, point mobile, affirme une puissance magique – danser seul, pour la nuit, parce que personne ne voit la danse et tous ne dansent pas seuls. Rouages magiques qui font traits d'union, simplement.
Et la magie tisse son ouvrage : des bavardages lointains qui se muent en chuchotements puis en frou-frous de toile.
- Oh, non, le maitre a encore oublié l'heure du début !
- Il a déjà commencé ?
La foule si attendue s'approche, silencieuse, s'installe, saluant et enfin suit la trame esquissée de la danse. Les adolescents ne se soucient pas, ou plus, de la présence de l'auditoire ou non. Ils se sont fait capturés dans la toile de leur histoire de danse, histoire d'amour d'un samouraï et d'une princesse. Ils écoutent leurs pas frotter contre le bambou, et battre le coeur des transis ; ils admirent les arabesques de leurs paumes, et la peau diaphane de la belle ; ils cadencent leur souffle, tel le courage du bushi. Et la foule retient sa respiration, arrêt éphémère dans le temps.
Enfin s'étire un long dragon aux quelques points lumineux sur les flancs, le long des ruelles apprêttées jusqu'au cadre chaud d'une salle, foyer de bambou, et la foule qui suit silensieuse, insouciante.
Je suis aussi, m'extasiant sur ce silence irréel d'une masse de gens lors d'une festivité. Je vais aussi à petits pas, m'assieds sur une natte simple et m'éternise béatement dans cette salle de bambou.